SRI LANKA. Quatre ans plus tard, des familles sri-lankaises n’ont toujours pas obtenu justice dans le cas ACF

Index AI : ASA 37/012/2010

ÉFAI - 19 août 2010

À l’occasion de la Journée mondiale de l’aide humanitaire (19 août), Amnesty International se souvient des nombreux travailleurs humanitaires ayant fait l’objet de violations des droits fondamentaux au Sri Lanka et des familles de victimes qui ont été déçues dans leur quête de justice jusqu’à présent. Amnesty International demande aux Nations unies de mener une enquête indépendante sur les atteintes aux droits humains et au droit humanitaire perpétrées au Sri Lanka, première étape essentielle vers l’établissement des responsabilités.

En août 2006, 17 travailleurs humanitaires sri-lankais œuvrant pour le compte de l’organisation internationale Action contre la faim (ACF) ont été tués ; cet homicide à l’allure d’exécution est survenu dans la ville de Mutur, dans le district de Trincomalee, à la suite d’une période marquée par des combats intenses entre les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) et les forces de sécurité sri-lankaises. Quinze hommes et femmes ont été découverts gisant à plat ventre dans l’enceinte de l’antenne d’ACF, des balles dans la tête et la nuque ; les coups avaient été tirés à bout portant. Deux autres membres du personnel d’ACF ont été retrouvés morts à bord d’un véhicule, non loin de là ; il est possible qu’ils aient été tués alors qu’ils essayaient de s’enfuir.

Cette attaque a été la pire à être perpétrée contre des travailleurs humanitaires après le bombardement ayant visé les locaux des Nations unies en Irak en 2003. Quatre ans plus tard, les proches des victimes attendent toujours que justice soit rendue.

Personne n’a été reconnu coupable de ces meurtres, personne n’a même été arrêté. La police sri-lankaise a bâclé l’enquête ouverte sur ces meurtres, ne parvenant même pas à préserver l’intégrité du lieu du crime. Des témoins ont été menacés et harcelés ; des parents de victimes ont été contraints à se cacher, voire à se réfugier à l’étranger.

Une commission d’enquête chargée en novembre 2006 par le président sri-lankais, Mahinda Rajapaksa, d’enquêter sur cette affaire et sur d’autres « graves violations des droits humains » a suspendu ses activités près de trois ans plus tard sans avoir rempli son mandat ; elle n’a pas su déterminer qui étaient les auteurs du massacre d’ACF, même après qu’un grand nombre d’éléments de preuve convaincants sur l’identité de ceux-ci leur eut été soumis. Selon son président, la Commission « était à court de financements » et a vu son travail entravé par l’absence de protection des témoins. Mais surtout, le gouvernement sri-lankais, qui réprime de manière active la critique et l’opposition, ne permettait pas à la Commission de mener sa mission en toute indépendance.

Le rapport présenté par la Commission au président Rajapaksa n’a jamais été rendu public, mais selon certaines informations divulguées à la presse après la fin du mandat de la Commission, en 2009, il exonérait les forces gouvernementales et mettait en cause les LTTE.

Le meurtre des employés d’ACF a – comme il se doit pour un crime de cette ampleur – suscité beaucoup d’intérêt de la part du public, même si au bout du compte cela n’a pas suffi à convaincre les autorités sri-lankaises de mener une enquête digne de ce nom. D’autres homicides et disparitions forcées de travailleurs humanitaires au Sri Lanka sont passés quasiment inaperçus.

Au cours d’une visite effectuée en août 2007, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies, John Holmes, a décrit Sri Lanka comme « l’un des pays les plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires ».

Une étude publiée en mars 2008 par Law and Society Trust, une organisation sri-lankaise, a indiqué que quelque 67 travailleurs humanitaires, pour la plupart des Tamouls du nord et de l’est, ont été tués ou soumis à une disparition forcée pour la seule période comprise entre janvier 2006 et décembre 2007, soit près d’un par mois. On compte parmi ces victimes : des personnes prenant part à des programmes spécifiques, des agents de terrain et des membres du personnel administratif d’organisations humanitaires œuvrant dans le domaine du déminage, du développement et des secours ; des chauffeurs, des ouvriers du bâtiment et des maçons ; et des membres du clergé catholique et bouddhiste engagés dans l’action l’humanitaire.

En juin 2007, deux bénévoles de la Croix-Rouge sri-lankaise ont assisté à un atelier dans une banlieue de Colombo ; ils ont été enlevés par des hommes se disant policiers sur un quai de gare bondé, alors qu’ils attendaient en compagnie de collègues un train qui les ramènerait à Batticaloa, où ils travaillaient. Leurs corps, portant des traces de balles, ont été retrouvés le lendemain abandonnés près de Ratnapura, à environ 100 km de là. Le gouvernement a arrêté un ancien gradé de l’armée de l’air, ainsi que plusieurs policiers et militaires, et les a accusés d’enlèvement politique, de kidnapping réalisé en vue d’obtenir une rançon et de meurtre. Les suspects ont été libérés sur caution début 2008 ; aucune poursuite n’a été engagée.

Si le gouvernement a publiquement condamné les actes de violence perpétrés contre le personnel humanitaire, il n’a pas fait grand-chose pour veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées, et donnent lieu à l’ouverture de poursuites contre les responsables présumés.

Il n’existe à l’heure actuelle au Sri Lanka aucun mécanisme crédible permettant de lutter contre les violations graves des droits humains. La Commission sri-lankaise des droits humains manque d’indépendance et a elle-même reconnu qu’elle n’a pas les moyens requis pour mener des enquêtes sur les disparitions.

Sur le plan international, le groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires passe actuellement en revue 5 749 cas sri-lankais non élucidés, dont plusieurs centaines ont été signalés dès le début de l’année 2006.

Compte tenu du fait que le Sri Lanka a invariablement échoué dans sa mission consistant à poursuivre les auteurs présumés de violations des droits humains, Amnesty International estime que la probabilité que justice soit rendue dans l’affaire ACF et les autres est très faible. C’est pourquoi nous appelons une nouvelle fois les Nations unies à mener une enquête indépendante sur les atteintes aux droits fondamentaux au Sri Lanka, notamment sur les attaques ayant visé des travailleurs humanitaires.

Passez à l’action : http://www.amnesty.org/fr/appeals-for-action/call-un-investigate-sri-lanka-rights-violations

Informations générales

Le Sri Lanka est depuis longtemps le théâtre de graves atteintes aux droits humains et au droit humanitaire, et les autorités ont établi plusieurs commissions spéciales d’enquête après que la communauté internationale les eut exhortées à rendre des comptes pour les violations commises par les forces nationales. En 2009, Amnesty International a publié un rapport (Twenty-years of Make-believe : Sri Lanka’s Commissions of Inquiry, ASA 37/005/2009 – non traduit en français) présentant les défaillances systématiques des mécanismes censés rendre justice, faire connaître la vérité et donner réparation aux victimes. Aucun d’entre eux ne s’est vu accorder l’autorité, les ressources ou le soutien politique requis afin de garantir que les responsables présumés soient véritablement tenus de rendre des comptes. Leur création a principalement permis de limiter les critiques internationales. Compte tenu du bilan du gouvernement, sa dernière commission en date - sur « les enseignements retirés et la réconciliation » - est suspecte depuis sa création. Sa raison d’être est presque assurément d’empêcher que de nouveaux appels en faveur d’une enquête internationale sur les crimes de guerre soient formulés à l’occasion de l’anniversaire de la fin du conflit, et de faire échouer toute discussion aux Nations unies sur le bilan des autorités en matière de droits humains. Il n’y a aucune raison de penser qu’elle réussira à obtenir justice pour les victimes là où les commissions précédentes ont échoué.

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