Azerbaïdjan. Les voix critiques de nouveau réduites au silence par les lois sur la diffamation

Déclaration publique

EUR 55/008/2007

Le tribunal de district de Yasamal, à Bakou, a condamné ce 20 avril le journaliste Eynoulla Fatoullaïev à deux ans et demi d’emprisonnement pour diffamation. Amnesty International s’oppose à ce verdict, qui fait suite à une série d’épisodes visant à intimider Eynoulla Fatoullaïev ces trois dernières années, notamment par l’agression physique, l’enlèvement de proches et les menaces de mort. Amnesty International estime qu’ Eynoulla Fatoullaïev est un prisonnier d’opinion, emprisonné pour ses reportages critiques sur des questions politiques et des abus de prérogatives publiques. Notre organisation demande la libération immédiate et inconditionnelle d’ Eynoulla Fatoullaïev.
Amnesty International est à nouveau gravement préoccupée par le sort de journalistes indépendants et d’opposition en Azerbaïdjan. Rappelant les craintes qu’elle avait exprimées en août 2006 et janvier 2007, Amnesty International déplore une série de mesures récentes visant apparemment à réduire au silence des journalistes associés avec les journaux Realny Azerbaydzhan (L’Azerbaïdjan réel, russophone) et Gündelik Azerbaycan (Le Quotidien d’Azerbaïdjan, de langue azérie). Ces mesures laissent à penser que les journalistes qui critiquent les responsables et attirent l’attention sur des malversations officielles continuent d’être soumis à diverses sanctions, allant de l’agression physique à l’emprisonnement aux termes des textes de loi azéris relatifs à l’injure et la diffamation.
Eynoulla Fatoullaïev, rédacteur en chef de Realny Azerbaydzhan et Gündelik Azerbaycan, a été condamné aux termes de l’article 147.2 du code pénal azéri, relatif à la diffusion publique d’accusations de crimes et délits graves. Ces inculpations se réfèrent à des commentaires attribués à Eynoulla Fatoullaïev, qu’il aurait publiés sur le site Internet ww.aztricolor.com en février 2007, sans date exacte. Ces commentaires abordent des épisodes survenus en 1991-1994, lors du conflit territorial entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh. Ces commentaires auraient impliqué que les Azéris partageaient la responsabilité, avec les forces arméniennes les encerclant, de la mort de centaines de civils d’ethnie azérie dans le village de Xocali, en 1992. Selon certaines informations, ces commentaires auraient cité des sources affirmant que les forces arméniennes avaient laissé un couloir d’évacuation aux résidents de Xocali (le site Web ne semble plus être disponible). Eynoulla Fatoullaïev avait écrit un article en 2005 sur ce thème, mais les poursuites à son encontre se fondaient sur des commentaires Internet d’origine douteuse, qui lui ont été attribués.

L’initiatrice des poursuites était Tatiana Tchaladze, présidente du centre azéri pour les réfugiés et les personnes déplacées, une organisation publique. Selon Tatiana Tchaladze, en laissant entendre que l’Azerbaïdjan avait une responsabilité dans les événements de Xocali, le journaliste cherchait délibérément à diffamer les survivants de cet épisode en particulier et les vétérans de la guerre du Haut-Karabakh en général.

Eynoulla Fatoullaïev nie avoir écrit ces commentaires, et soutient que cette affaire a été montée de toutes pièces pour réduire au silence ses critiques sur un certain nombre de questions, notamment la corruption gouvernementale. Les commentaires attribués à Eynoulla Fatoullaïev ont été diffusés sur un certain nombre de sites Web en février, à la suite de quoi les bureaux de Realny Azerbaydzhan ont été attaqués par des groupes comprenant jusqu’à 100 personnes non identifiées, les 24 et 26 février. Les bureaux du journal ont reçu des jets d’œufs et de pierres, et des manifestants auraient tenté d’enfoncer une porte. Selon certaines informations, la police, présente lors des manifestations, n’est pas intervenue pour empêcher ces actes.

Avec un lectorat d’environ 30 000 personnes, Realny Azerbaydzhan est l’un des journaux les plus appréciés du pays. Il est bien connu pour ses critiques des responsables gouvernementaux, en particulier du ministère de l’Intérieur.

Eynoulla Fatoullaïev est connu pour sa franchise de journaliste. Il avait travaillé pour Monitor, journal d’opposition controversé, fermé après le décès par balles de son rédacteur en chef Elmar Hüseynov, en mars 2005. Cette affaire d’homicide n’est toujours par résolue à ce jour. En juillet 2004, Eynoulla Fatoullaïev a été frappé dans une rue de Bakou, semble-t-il en raison d’articles qu’il avait publiés, et qui critiquaient des responsables du gouvernement. Par la suite, Eynoulla Fatoullaïev a reçu des menaces de mort en lien avec sa série d’articles « Journal du Karabakh », qui faisait suite à son voyage dans la république non reconnue du Haut-Karabakh, en 2005 ; dans ces articles, le journaliste se montrait partisan du dialogue avec les Arméniens du Karabakh. En août 2006, trois procès en diffamation ont été intentés à Realny Azerbaydzhan par le ministre de l’Intérieur Ramil Oussoubov, pour des articles publiés dans le journal, affirmant qu’il existait des liens entre le ministre et les activités criminelles d’un ancien responsable du ministère de l’Intérieur, alors en procès pour une série de meurtres et d’enlèvements. Le journal a perdu les procès, devant payer une amende équivalant à 11 500 dollars des États-Unis en compensation. En octobre 2006, Eynoulla Fatoullaïev a temporairement cessé de publier ses deux journaux lorsque son père a été enlevé ; son père a été libéré après l’annonce de la cessation de publication. En mars 2007, Eynoulla Fatoullaïev a reçu des menaces de mort après avoir signalé dans le Realny Azerbaydzhan que des responsables de haut rang avaient ordonné le meurtre d’Elmar Hüseynov par un gang criminel comprenant des citoyens géorgiens d’origine azérie.

Comme l’a signalé Radio Liberty le 23 avril 2007, des propos similaires concernant le maintien d’un couloir d’évacuation lors de l’épisode de Xocali, en 1992, ont été tenus par le président azéri d’alors, Ayaz Moutalibov. À la lumière de la série d’événements mentionnés plus haut et visant Eynoulla Fatoullaïev, Amnesty International estime qu’il y aurait effectivement une raison politique à la réapparition de ces propos dans le cadre d’une poursuite judiciaire visant un rédacteur de journal ouvertement critique et déjà soumis à une campagne prolongée de harcèlement. En outre, même en supposant que les propos prêtés à Eynoulla Fatoullaïev dans ce procès soient exacts, il est inacceptable que des journalistes remettant en cause des version officielles ou orthodoxes de l’histoire risquent l’emprisonnement.

Ces deux dernières années, plusieurs procès pour injures ou diffamation ont été intentés à des journalistes par des responsables gouvernementaux ; les tribunaux ont presque toujours donné raison aux plaignants (voir la note d’Amnesty International de janvier 2007 Azerbaijan : the contracting space for freedom of expression (index AI : EUR 55/003/2007)). Des journalistes ont été condamnés dans des affaires où l’auteur des commentaires censément diffamatoires n’était pas clairement connu. En 2006, ?ahin A ?abeyli, rédacteur du journal Milli Yol (La Voie nationale) a été condamné à un an de prison pour
des déclarations publiées dans un article qu’il niait avoir écrit.

La nuit du 20 avril, lors d’un autre incident, un rédacteur du Gündelik Azerbaycan, reporter sur les questions militaires, Ouzeïr Jafarov, a été attaqué par deux hommes en sortant des bureaux du journal. Il a été frappé à la tête et au visage avec des objets métalliques. Ses agresseurs auraient sorti un couteau mais se sont enfuis en voyant d’autres membres du journal venir à l’aide d’Ouzeïr Jafarov. Celui-ci a été hospitalisé et a reçu des points de suture. Selon certaines informations, il a reconnu l’un des agresseurs comme ayant assisté à l’audience du tribunal contre Eynoulla Fatoullaïev. Un peu plus tôt, ce même jour, Ouzeïr Jafarov avait témoigné en faveur d’Eynoulla Fatoullaïev.

Les attaques persistantes visant la liberté d’expression, et l’absence de réaction du gouvernement pour inverser cette tendance, nuisent à la réputation internationale du pays. L’échec du gouvernement azéri, qui n’a pas répondu aux inquiétudes exprimées par les journalistes et militants des droits humains du pays, ainsi que par les organisations internationales, a été reconnu dans la résolution 1545 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce 16 avril. Amnesty International demande aux autorités azéries de libérer Eynoulla Fatoullaïev immédiatement, et d’ouvrir une enquête approfondie et indépendante sur les circonstances entourant sa condamnation. Amnesty International demande également au gouvernement d’Azerbaïdjan d’enquêter de manière exhaustive et indépendante sur l’agression d’Ouzeïr Jafarov, et de traduire les responsables en justice. Enfin, Amnesty International demande la dépénalisation de la diffamation en Azerbaïdjan, position également soutenue par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

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