ÉTHIOPIE

République fédérale démocratique d’Éthiopie

Chef de l’État : Mulatu Teshome Wirtu Chef du gouvernement : Hailemariam Desalegn

La liberté d’expression continuait d’être soumise à de sévères restrictions. Le gouvernement était hostile aux voix divergentes et les autorités procédaient souvent à des arrestations à titre préventif afin d’empêcher toute dissidence de se manifester. La presse indépendante a fait l’objet de nouvelles attaques. Des manifestants pacifiques, des journalistes et des membres de partis politiques d’opposition ont été arrêtés arbitrairement. La Loi sur les sociétés et associations caritatives continuait de faire obstacle au travail des organisations de défense des droits humains. La détention arbitraire, la torture et les autres formes de mauvais traitements étaient des pratiques répandues et participaient souvent d’un dispositif visant à réduire au silence les voix dissidentes, réelles ou supposées.

CONTEXTE

La croissance économique s’est poursuivie à un rythme rapide. À cela s’ajoutaient des investissements étrangers considérables, notamment dans les secteurs de l’agriculture, du bâtiment et de l’industrie manufacturière, des projets de développement de grande envergure comme la construction d’un barrage hydroélectrique et des plantations, ainsi que de nombreux baux fonciers, souvent au profit d’entreprises étrangères.
Les autorités utilisaient de multiples voies et moyens pour contrôler politiquement la population, notamment en politisant l’accès à l’emploi et à l’éducation ainsi que l’aide au développement ; elles se livraient à une étroite surveillance, physique et technologique.
Compte tenu de la politisation des services d’enquête de la police et de l’appareil judiciaire, il était impossible d’être jugé de manière équitable au cours d’un procès motivé par des considérations politiques.
Les services de sécurité fédéraux et régionaux se sont rendus coupables de violations des droits humains sur tout le territoire, notamment d’arrestations arbitraires, de recours à une force excessive et d’actes de torture et des exécutions extrajudiciaires. Ces actes ont été commis dans un climat d’impunité presque totale.
Des groupes armés d’opposition étaient toujours présents dans plusieurs zones et dans des pays voisins. Toutefois, le nombre de leurs combattants et leur degré d’activité étaient généralement faibles.
L’accès à certaines parties de la région somalie était encore fortement restreint. De graves violations des droits humains continuaient d’être signalées, notamment des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires. En outre, de nombreuses allégations ont fait état de viols de femmes et de jeunes filles commis par des membres des services de sécurité.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE – EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

n avril et mai, des manifestations se sont déroulées dans toute la région d’Oromia contre une proposition de Plan directeur intégré prévoyant l’expansion territoriale de la capitale, Addis-Abeba, dans la région.
Selon les autorités, ce projet devait permettre l’arrivée de services dans des zones reculées. Cependant, de nombreux Oromos craignaient qu’il ne porte atteinte aux intérêts des agriculteurs locaux et n’aboutisse à des déplacements de grande ampleur.
Les services de sécurité, y compris la police fédérale et les forces spéciales de l’armée, ont réagi au moyen d’une force excessive : ils ont tiré à balles réelles sur des manifestants dans les villes d’Ambo et de Guder et dans les universités de Wallega et de Madawalabu, faisant au moins 30 morts, dont des enfants. Des centaines de personnes ont été frappées par des agents des services de sécurité pendant et après les rassemblements, notamment des manifestants et des passants ; des parents de manifestants ont également été battus au motif qu’ils n’avaient pas « contrôlé » leurs enfants. Il y a eu de très nombreux blessés.
Des milliers de personnes ont fait l’objet d’arrestations arbitraires. Un grand nombre d’entre elles ont été détenues sans inculpation pendant plusieurs mois, certaines au secret. Des centaines de personnes ont été détenues dans des lieux non officiels, comme le camp d’entraînement de la police à Senkele. Des détenus ont été transférés à Maikelawi, le centre de détention de la police fédérale à Addis Ababa. Plus de 100 personnes étaient toujours détenues par les services de sécurité à Kelem Wallega, Jimma et Ambo, alors que des tribunaux avaient ordonné leur libération sous caution ou sans condition.
Nombre des personnes interpellées ont été libérées entre mai et octobre, après avoir été détenues plus ou moins longtemps ; d’autres se sont toutefois vu refuser une libération sous caution ou sont demeurées en détention sans inculpation. D’autres encore, notamment des étudiants et des membres du Congrès fédéraliste oromo (CFO), un parti politique d’opposition, ont été poursuivies et condamnées à l’issue de procès expéditifs pour diverses charges liées aux manifestations.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

En 2014, la liberté d’expression et les voix dissidentes ont subi une nouvelle offensive : des médias indépendants ont été pris pour cible et des membres de partis politiques d’opposition ont été arrêtés, ainsi que des manifestants pacifiques. Des partis politiques d’opposition ont tenté à plusieurs reprises d’organiser des manifestations, ce à quoi les autorités se sont opposées. La Loi antiterroriste continuait d’être utilisée pour réduire des dissidents au silence. Les membres des partis politiques d’opposition étaient de plus en plus visés à l’approche des élections législatives de 2015.
Fin avril, six blogueurs du collectif Zone 9 et trois journalistes indépendants associés à ce groupe ont été arrêtés à Addis-Abeba, deux jours après que le collectif eut annoncé la reprise de ses activités, suspendues en raison d’un harcèlement intense. Pendant près de trois mois, ces neuf personnes ont été détenues dans la section souterraine de Maikelawi, sans pouvoir s’entretenir avec leurs proches ni d’autres visiteurs. En outre, leurs contacts avec leurs avocats étaient extrêmement restreints.
En juillet, elles ont été inculpées d’infractions liées au terrorisme, aux côtés d’une autre personne membre de Zone 9, absente lors de son inculpation. L’acte d’accusation citait, au nombre de leurs infractions présumées, l’utilisation de « Security in a Box » – une sélection de logiciels à code source ouvert et de guides pratiques visant à aider les défenseurs des droits humains, en particulier ceux qui travaillent dans un environnement répressif.
Six des prévenus ont dit avoir été forcés à signer des « aveux ». Lors des audiences en vue d’une éventuelle mise en liberté, trois ont affirmé qu’ils avaient été torturés mais la justice n’a pas enquêté sur ces plaintes. Le procès était en cours à la fin de l’année.
Début 2014, deux agences de presse, Ethiopian Press Agency et Ethiopian News Agency, ont réalisé une « étude » parue dans le quotidien officiel Addis Zemen et visant six journaux indépendants. Ceux-ci y étaient accusés d’avoir publié plusieurs articles « encourageant le terrorisme » et d’avoir nié la croissance économique et minimisé l’héritage légué par l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, entre autres « transgressions ». En août, le gouvernement a annoncé qu’il allait poursuivre les publications en question, ce qui a amené plus de 20 journalistes à fuir le pays. En octobre, les propriétaires de trois de ces publications ont été condamnés en leur absence à plus de trois ans d’emprisonnement parce qu’ils auraient incité la population à renverser le gouvernement et publié des rumeurs infondées.
Le CFO a signalé qu’entre 350 et 500 de ses membres, y compris des dirigeants, avaient été arrêtés entre mai et juillet. Ces arrestations ont débuté dans le contexte des manifestations contre le Plan directeur mais se sont poursuivies pendant plusieurs mois. Nombre des personnes interpellées ont été détenues arbitrairement et au secret. Plus de 200 personnes, dont des membres du CFO, ont été arrêtées dans la région d’Oromia à la mi-septembre, et d’autres membres de ce parti ont été interpellés en octobre.
Le 8 juillet, Habtamu Ayalew et Daniel Shebeshi, de l’Unité pour la démocratie et la justice (UDJ), et Yeshewas Asefa, du parti Semayawi, ont été arrêtés à Addis-Abeba.
Abraha Desta, membre du parti Arena Tigray et maître de conférence à l’université de Mekele, a été arrêté dans la région du Tigré avant d’être transféré à Addis-Abeba. Ces personnes ont été placées en détention à Maikelawi. Elles n’ont pas pu dans un premier temps consulter un avocat ni communiquer avec leur famille. Fin octobre, elles ont été inculpées en vertu de la Loi antiterroriste.
Yeshewas Asefa a déclaré au tribunal qu’il avait été torturé en détention.
Le parti Semayawi a signalé que nombre de ses membres avaient été arrêtés, notamment sept femmes interpellées en mars lors d’une course organisée à Addis-Abeba à l’occasion de la Journée internationale de la femme, ainsi que trois hommes. Ces personnes avaient scandé plusieurs slogans, dont : « Nous avons besoin de liberté ! Libérez les prisonniers politiques ! » Elles ont été remises en liberté sans inculpation 10 jours plus tard. Fin avril, 20 membres du parti ont été arrêtés alors qu’ils encourageaient la tenue d’une manifestation à Addis-Abeba. Ils ont été relâchés au bout de 11 jours.
Début septembre, Befekadu Abebe et Getahun Beyene, des cadres du parti vivant à Arba Minch, ont été arrêtés aux côtés de trois autres membres. Ils ont été transférés au centre de détention de Maikelawi. Ils n’ont semble-t-il pas été autorisés à consulter un avocat ni à entrer en contact avec leur famille dans les premières phases de leur détention. Ils étaient toujours derrière les barreaux à la fin de l’année. Fin octobre, Agbaw Setegn, un membre du parti, a été arrêté à Gondar puis transféré lui aussi à Maikelawi. À la fin de l’année, il était encore détenu au secret sans possibilité de contacter un avocat ni sa famille.
Le 27 octobre, Temesgen Desalegn, rédacteur en chef de la publication désormais fermée Feteh, a été condamné à trois ans d’emprisonnement pour « diffamation » et « provocation par la diffusion de fausses rumeurs », à l’issue d’un procès qui a duré plus de deux ans. Le directeur de la publication de Feteh, quant à lui, a été déclaré coupable en son absence.
La durée de la détention sans inculpation était souvent longue et couvrait parfois toute la période de détention. Parmi les personnes ainsi arbitrairement détenues, nombreuses étaient celles qui avaient été arrêtées en raison de leur opposition pacifique au régime ou de leurs opinions politiques présumées. La détention arbitraire se déroulait dans des centres officiels et non officiels, y compris à Maikelawi. De nombreux détenus ont été maintenus au secret, et bien d’autres ont été privés de leur droit de contacter un avocat et leur famille.
Incarcérés les années précédentes pour avoir simplement exercé de manière pacifique leurs droits à la liberté d’expression et d’opinion, de nombreux prisonniers d’opinion, y compris des journalistes et des membres de partis politiques d’opposition, demeuraient en détention. Certains avaient été déclarés coupables à l’issue de procès iniques, d’autres étaient en instance de jugement et d’autres encore continuaient d’être détenus sans inculpation.
L’accès aux centres de détention en vue de réaliser une surveillance et de recueillir des informations sur le traitement des détenus faisait toujours l’objet de restrictions sévères.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Des actes de torture avaient lieu dans des postes de police locaux, au poste de la police fédérale de Maikelawi, dans des prisons fédérales et régionales ainsi que dans des camps militaires.
Plusieurs méthodes de torture avaient cours : coups assénés au moyen de bâtons, de matraques en caoutchouc, de crosses de pistolet et d’autres objets ; brûlures ; maintien dans des positions douloureuses ; décharges électriques et exercice physique contraint pendant de longues périodes. Dans certains cas, les conditions d’incarcération s’apparentaient à des actes de torture : les personnes étaient détenues dans des souterrains dépourvus d’éclairage, entravées et placées à l’isolement pendant des périodes prolongées.
La torture se pratiquait généralement dans les premières phases de la détention, en conjonction avec l’interrogatoire. Elle servait à contraindre les détenus à « avouer », à signer des déclarations incriminantes et à impliquer des tiers. Parmi les détenus soumis à la torture figuraient des prisonniers d’opinion qui avaient été arrêtés parce qu’ils avaient exprimé un désaccord, ou étaient soupçonnés de l’avoir exprimé.
Lors de plusieurs procès, des prévenus ont signalé avoir été torturés ou autrement maltraités. Les tribunaux n’ont pas ordonné l’ouverture d’enquêtes sur ces plaintes.
Dans plusieurs cas, des prisonniers d’opinion se sont vu refuser l’accès à des soins médicaux adaptés.

RÉGION D’OROMIA

Les Oromos subissaient toujours de nombreuses violations de leurs droits humains dont le but était de réprimer toute dissidence éventuelle dans la région.
Un grand nombre d’entre eux ont encore été arrêtés ou demeuraient en détention après avoir été interpellés les années précédentes. La raison en était qu’ils avaient exprimé pacifiquement un désaccord ou, souvent, qu’ils étaient simplement soupçonnés de s’opposer au régime. Il s’agissait d’arrestations arbitraires, souvent préventives et infondées. Beaucoup d’Oromos ont été détenus sans inculpation ni jugement, souvent dans des lieux de détention non officiels, en particulier dans les camps militaires de toute la région. Personne n’a été amené à rendre de comptes pour les disparitions forcées ou les exécutions extrajudiciaires perpétrées en 2014 et les années précédentes.
Un grand nombre d’interpellations de dissidents, réels ou présumés, ont été signalées à la suite des manifestations contre le Plan directeur. Ainsi, début octobre, plusieurs centaines de lycéens, d’agriculteurs et d’autres habitants des districts de Hurumu et de Yayu Woredas (province d’Illubabor) ont été arrêtés.
Des étudiants auraient été arrêtés pour avoir demandé des nouvelles de leurs camarades interpellés pendant les manifestations contre le Plan directeur, exigé leur libération et réclamé justice pour les personnes tuées. Le cas de 27 étudiants arrêtés fin novembre à l’université de Wallega a notamment été signalé.

RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE

Retours forcés Des agents du gouvernement étaient actifs dans de nombreux pays, dont certains coopéraient avec les autorités éthiopiennes en renvoyant de force des personnes recherchées.
En janvier, deux représentants du Front de libération nationale de l’Ogaden (FLNO), une organisation rebelle, ont été enlevés et renvoyés de force en Éthiopie depuis Nairobi (Kenya), où ils s’étaient rendus pour participer à la suite des pourparlers de paix entre leur groupe et le gouvernement.
Le 23 juin, Andargachew Tsige, ressortissant britannique et secrétaire général du mouvement interdit Ginbot 7, a été livré par le Yémen. Le 8 juillet, dans une émission diffusée sur la chaîne de télévision d’État ETV, cet homme est apparu défait et exténué. À la fin de l’année, il était toujours détenu au secret dans un lieu inconnu, privé de tout contact avec un avocat et sa famille. Le Royaume-Uni s’est vu refuser le droit de visite consulaire, sauf en deux occasions où Andargachew Tsige a pu rencontrer l’ambassadeur, mais pas en privé. Pour l’une de ces visites le détenu a été amené encagoulé.
En mars, Okello Akway, un ancien gouverneur de la région de Gambéla détenteur de la nationalité norvégienne, a été renvoyé de force en Éthiopie alors qu’il se trouvait au Soudan du Sud. Il a été inculpé en juin, de même que plusieurs ressortissants du Soudan du Sud, d’infractions terroristes en lien avec des mouvements d’opposition de la région de Gambéla en exil.

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