Communiqué de presse

Turquie. Des réformes draconiennes octroient des pouvoirs étendus à la police pour réprimer l’opposition

Une série de réformes en matière de sécurité, inscrites dans un projet de loi adopté par le Parlement turc vendredi 27 mars, accorderaient aux forces de police du pays de nouveaux pouvoirs étendus et dangereux les habilitant à incarcérer des personnes et à utiliser des armes à feu afin de réprimer la contestation, a déclaré Amnesty International.

L’organisation redoute que ce projet ne banalise le recours déjà très répandu aux arrestations arbitraires lors des manifestations et ne favorise de nouvelles violations des droits humains, notamment des enquêtes judiciaires motivées par des considérations politiques, et des atteintes au droit à la vie.

« Le vote de vendredi 27 mars concernant l’adoption de cette nouvelle loi draconienne confirme nos craintes : le Parlement turc a pris certains des pires abus perpétrés par la police, dont le bilan en matière d’opérations de maintien de l’ordre est déjà préoccupant, et les a entérinés avec cette loi », a déclaré Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie à Amnesty International.

Les articles adoptés, qui modifient 14 lois ou décrets différents, ont donné lieu à des débats enflammés. Le moment choisi pour cela est particulièrement controversé étant donné que les élections législatives doivent se tenir en juin.

La « Loi portant modification de la Loi relative aux pouvoirs et aux devoirs de la police, ainsi que d’autres lois et décrets », généralement appelée « plan pour la sécurité nationale », a été soumise au Parlement le 17 février et a suscité des débats intenses.

Amnesty International a déclaré que les dispositions de ce texte relatives au recours à la force par la police va à l’encontre des normes internationales en matière de droits humains. Aux termes des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, l’utilisation d’armes létales ne saurait être justifié que pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, et seulement si l’emploi d’autres moyens à létalité réduite a échoué.

« Autoriser la police à se servir d’armes à feu pour protéger des biens lorsqu’il n’existe aucune menace imminente à la vie va à l’encontre des normes internationales sur le maintien de l’ordre, et il est probable que cela mène à de nouvelles violations du droit à la vie », a déclaré Andrew Gardner.

Le texte contient en outre des dispositions définies en termes vagues qui confèrent aux policiers des pouvoirs leur permettant de maintenir des personnes en détention sans que l’ordre n’en ait été donné par le ministère public. Ces dispositions prévoient que ce type de détention peut durer 24 heures en cas d’infraction commise à titre individuel et 48 heures en cas d’infraction commise dans le contexte d’incidents violents survenant lors d’actions de protestation. L’application de ces dispositions est susceptible de donner lieu à de nouvelles détentions arbitraires.

D’autres dispositions portent atteinte à l’indépendance des procureurs et à l’obligation qui incombe aux autorités de leur permettre de faire leur travail sans ingérence indue. Les préfets de région sont habilités à donner des ordres directs à la police dans le cadre des enquêtes sur les crimes.

La privation du droit de manifester pacifiquement, le recours excessif à la force - y compris aux armes à feu - par la police et les poursuites motivées par des considérations politiques sont fréquents en Turquie.

« Malgré l’hostilité généralisée des partis politiques de l’opposition, des organisations de défense des droits humains, des associations de juristes et d’autres groupes de la société civile, le gouvernement a déployé beaucoup d’efforts pour faire passer cette législation en force », a déclaré Andrew Gardner.

« Le moment choisi, si proche d’élections législatives décisives, permet aux autorités d’étouffer l’opposition grâce à ces nouveaux pouvoirs. Promulguer cette loi ouvrira la porte à des abus généralisés contre ceux qui exercent leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifiques. »

Adopter le projet de loi maintenant permet que son entrée en vigueur ait lieu avant la fin de la session parlementaire, prévue pour le 5 avril, tandis que les élections parlementaires se tiendront le 7 juin. La loi entrera en vigueur après sa promulgation par le président - une simple formalité qui devrait se dérouler bientôt.

Des membres de l’opposition se sont engagés à demander à la Cour constitutionnelle de Turquie d’annuler l’adoption de ce texte.

Complément d’information

Le gouvernement turc a tenté de justifier ce projet de loi en invoquant les violentes manifestations qui se sont tenues dans le sud-est de la Turquie en octobre 2014, durant lesquelles une cinquantaine de personnes sont mortes, plusieurs centaines ont été blessées et des biens publics et privés ont subi d’importants dégâts.

Il est notoire que la Turquie bafoue les droits fondamentaux des manifestants pacifiques, qui seront sans doute également visés par ces nouvelles mesures de sécurité à la fois vagues et d’une grande portée.

Entre le 28 mai et la mi-juillet 2013, 79 des 81 provinces turques ont été le théâtre de manifestations dite du parc Gezi, qui ont rassemblé des foules allant de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de manifestants. À travers la Turquie, les forces de sécurité ont recouru à maintes reprises à une force abusive et arbitraire contre des manifestants pacifiques, parfois avec des conséquences fatales. L’homicide d’au moins quatre manifestants est directement attribuable au recours par la police à une force excessive. Figurent parmi ces personnes Berkin Elvan, 15 ans, et Abdullah Cömert, 22 ans, touchés à la tête par des cartouches de gaz lacrymogène tirées à faible distance. Plus de 8 000 personnes ont été blessées, certaines très grièvement, durant cette vague de manifestations.

En 2014, la police a recouru à une force excessive contre des manifestants pacifiques le 1er mai près de la place Taksim, au centre d’Istanbul. Une confrontation est également à craindre cette année à la même date, des manifestants souhaitant défiler sur la place Taksim tandis que les autorités affirment que le centre d’Istanbul est interdit d’accès.

Amnesty International a recueilli de nombreuses informations selon lesquelles la police et les forces turques de sécurité ont utilisé gaz lacrymogène et canons à eau de façon excessive, injustifiée et arbitraire pour disperser les manifestants, et ont tiré contre des manifestants non armés avec des balles en caoutchouc et en plastique, tuant et blessant grièvement certains d’entre eux. Des milliers d’autres ont été frappés par les forces de sécurité et de police. Des manifestants, des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été arrêtés et incarcérés.

L’adoption du projet de loi est la dernière d’une série de mesures visant à réprimer la contestation en Turquie. En décembre 2014, Amnesty International a fait état de l’inquiétude que lui inspirait l’acquisition par les autorités turques de grandes quantités de gaz lacrymogène et d’autres d’agents chimiques antiémeutes auprès d’une entreprise sud-coréenne.

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