Communiqué de presse

Le traité international sur le contrôle des armes pourrait se transformer en pétard mouillé

Par Marek Marczynski, directeur du programme Armée, sécurité et police d’Amnesty International, @MarekMarczynski

Chaque année, un demi-million de personnes sont tuées par des armes à feu, dont une grande partie a fait l’objet de transferts irresponsables.

La circulation des armes, très peu contrôlée, alimente également les conflits qui coûtent la vie à des millions de personnes, qui sont déplacées massivement et n’ont plus accès aux soins de santé élémentaires, à l’eau potable ni à la nourriture.

En République démocratique du Congo, par exemple, on estime que plus de cinq millions de personnes sont mortes de causes indirectes liées au conflit armé depuis 1998.

Afin de relever ce défi mondial, Amnesty International, en partenariat avec d’autres organisations de la société civile et des victimes de la violence armée, a fait campagne en faveur d’un traité visant à réglementer le commerce des armes au niveau mondial.

Nous avons fait valoir que les armes ne devaient pas être exportées vers des pays où elles risquaient de servir à commettre de graves violations des droits humains.

Cette campagne soutenue a débouché sur l’adoption du Traité sur le commerce des armes (TCA), entré en vigueur le 24 décembre 2014.

Depuis, la communauté internationale s’efforce de mettre sur pied des règles et des procédures afin de rendre le TCA pleinement opérationnel.

La première Conférence des États parties au TCA doit se dérouler au Mexique en août 2015.

Des rencontres visant à préparer au mieux cette première Conférence ont été organisées tout au long de l’année 2015 à Port-d’Espagne (Trinité-et-Tobago) et Vienne (Autriche). La dernière réunion préparatoire s’est déroulée à Genève cette semaine.

Toutefois, la réussite du TCA a été remise en cause lors de ces débats.

Les États ayant jusqu’à présent soutenu une réglementation stricte des transferts d’armes font marche arrière, afin de sceller un compromis avec ceux qui souhaitent que ce traité soit « la routine habituelle ».

Le débat sur le degré de transparence et d’obligation de rendre des comptes imposé au commerce des armes par le TCA s’en trouve affecté.

La transparence est pourtant l’un des principaux objectifs du TCA, en reconnaissance du fait que le commerce des armes s’est fait jusqu’à présent dans le plus grand secret.

La valeur de ce commerce est estimée à 100 milliards de dollars par an (90 milliards d’euros), et elle ne cesse d’augmenter. En 2010, elle avoisinait 72 milliards de dollars (64 milliards d’euros). Et si l’on y ajoute tous les services liés, tels que les équipements militaires et la construction, on atteint dès à présent au moins 120 milliards de dollars (107 milliards d’euros).

Lors de la conférence préparatoire de Genève, les débats majeurs concernant la transparence ont mis l’accent sur la participation des organisations de la société civile à la Conférence des États parties et sur les informations relatives aux transferts d’armes que les États devraient révéler et mettre à la disposition du public.

Certains États ont proposé que les organisations de la société civile s’acquittent de frais pour participer au travail de la Conférence. D’autres ont affirmé qu’ils souhaiteraient limiter la participation des organisations aux sessions plénières, en excluant les ONG des réunions des organes subsidiaires.

De telles propositions sont choquantes. Elles vont à l’encontre de l’idée fondatrice du TCA, à savoir garantir la transparence et réduire la souffrance humaine.

La société civile a un rôle crucial à jouer afin de garantir cette transparence.

Amnesty International et d’autres organisations font campagne depuis près de 20 ans pour la création du TCA.

Ensemble, elles ont acquis une expertise et une expérience qui ne peuvent que consolider le traité. En outre, elles ont des liens privilégiés avec les victimes de la violence armée, dont les souffrances sont censées être allégées par le TCA.

Si la société civile n’est pas autorisée à participer au travail des organes subsidiaires, les débats essentiels sur les transferts d’armes se tiendront inévitablement sous le sceau du secret. Ce sera en effet « la routine habituelle », puisque le but même du TCA sera gravement compromis.

Les délibérations à Genève portent également sur le type d’informations relatives aux transferts d’armes que les États doivent révéler et mettre à la disposition du public.

Nous déplorons que les organisations de la société civile ne soient pas en mesure de contribuer de manière significative à l’élaboration de ces propositions.

Ainsi, les derniers modèles de rapports n’ont pas été à la hauteur de la norme de transparence fixée par le TCA. Les propositions concernant la présentation de rapports par les États ont été réduites à un strict minimum, ce qui signifie qu’ils n’auront sans doute à rendre compte de la valeur des transferts qu’une fois par an.

Pour une application efficace du TCA, les États doivent présenter un tableau exhaustif de leurs transferts d’armes. Ces rapports doivent englober des informations sur les autorisations d’exportation et sur les livraisons effectives d’armes. La taille du transfert doit inclure le nombre d’unités, ainsi que la valeur financière. Les États doivent également rendre compte séparément de chaque catégorie d’armes légères et de petit calibre.

Enfin, il est essentiel que les informations relatives à l’utilisation finale des armes – et à l’utilisateur final – soient mentionnées, et soient mises à la disposition du public.

La question de savoir qui se sert de ces armes, et comment, revêt une importance capitale.

Elle a des conséquences directes sur la probabilité que ces armes soient utilisées pour bafouer les droits humains.

Alors que la conférence préparatoire des États parties au TCA s’achève à Genève, les États doivent comprendre que sans transparence, le traité aura peu d’effets positifs.

S’ils ne permettent pas aux organisations de la société civile de participer activement au travail du TCA, et s’ils n’adoptent pas des mécanismes de rapport exhaustifs et transparents, le traité ne sera pas réellement appliqué.

Cela pourrait avoir comme conséquence l’échec de la communauté internationale à prévenir l’an prochain la mort d’un demi-million de personnes du fait des transferts d’armes irresponsables, tandis que l’industrie de l’armement encaissera 120 milliards de dollars supplémentaires.

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