La Belgique à la présidence du Conseil de l’Union européenne : recommandations d’Amnesty International

Le 1er janvier 2024, la Belgique a succédé à l’Espagne à la présidence du Conseil de l’Union européenne. À cette occasion, Amnesty International a fait parvenir au Premier ministre Alexander De Croo une lettre (voir plus bas dans le corps de cet article) avec ses principales recommandations, qui ont pour but de garantir que les droits humains soient au cœur de la présidence belge. Cette lettre peut également être consultée en anglais.

Les recommandations formulées par Amnesty International portent sur la politique européenne d’asile et de migration, la politique étrangère européenne, les réglementations de l’UE dans le domaine de la technologie et de l’intelligence artificielle, ainsi que sur la nécessité de protéger l’État de droit dans l’UE et de garantir l’adoption d’une directive forte sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

La lettre est disponible ci-dessous :

Monsieur le Premier ministre,

La Belgique assure la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) à un moment critique, et Amnesty International fait appel à vous pour veiller à ce que les droits humains soient au premier plan de votre mandat. La présidence belge intervient à un moment de défis croissants en Europe et au-delà : la guerre continue de la Russie contre l’Ukraine, les attaques du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens contre Israël et le bombardement par Israël de la bande de Gaza, les tensions géopolitiques croissantes, les défis croissants pour le système international des droits humains et ceux et celles qui cherchent à défendre ces droits. Nous continuons d’assister à un recul de l’état de droit et à un mouvement anti-genre croissant au sein de l’UE. Parallèlement, alors que les négociations sur des réformes complexes en matière d’asile entrent dans leur phase finale, les institutions de l’UE risquent d’aboutir à un compromis final qui affaiblit les droits des demandeur·euses d’asile, des réfugié·es et d’autres migrant·es, et conduit à des réponses moins cohérentes, durables, humaines et efficaces pour les personnes en quête de sécurité aux frontières de l’UE.

Les efforts législatifs cruciaux de l’UE visant à garantir de solides protections des droits fondamentaux contre les dommages potentiels induits par les systèmes d’intelligence artificielle (IA) risquent de ne pas être suffisants, à moins que les lacunes et les failles restantes dans le projet de règlement ne soient comblées.

Amnesty International vous demande de :

  • Mener des politiques d’asile et de migration efficaces et durables axées sur la solidarité et les droits humains. Un système européen commun d’asile et de migration devrait reposer sur le partage des responsabilités au sein de l’UE et à l’échelle mondiale ; un engagement à améliorer et à investir dans des conditions d’accueil adéquates et dans la protection des droits humains ; et l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises par les autorités à l’encontre des migrant·es, des réfugié·es et des demandeur·euses d’asile. Dans la dernière phase des négociations sur le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, les institutions de l’UE risquent d’affaiblir les protections pour les personnes aux frontières et d’obtenir des réponses moins cohérentes. Le règlement de crise en cours de négociation, y compris les propositions permettant aux États de déroger aux normes d’asile de l’UE en cas de prétendue "instrumentalisation" des migrant·es, renforcent l’affaiblissement des normes. La Présidence belge devrait orienter la dernière phase des négociations techniques loin des dérogations généralisées aux règles d’asile. Si les dérogations sont admises, cela risque de normaliser la pratique répandue de refoulements, de détentions arbitraires et de refus d’asile par plusieurs États membres. En même temps, la Présidence belge devrait défendre l’état de droit et les normes de protection des réfugié·es au niveau national et européen, encourager tous les États membres à maintenir ouvert leur système de protection et à le rendre effectivement accessible à toutes les personnes en quête de sécurité dans l’UE, investir dans des voies sûres et légales, et sortir d’une dépendance croissante à la coopération avec des pays tiers pour externaliser les responsabilités de protection des réfugié·es et de contrôle de la migration.
  • Mettre les droits humains au centre de la politique étrangère de l’UE : en réponse aux nouveaux conflits et aux violations continues des droits humains qui s’intensifient dans le monde, la Présidence belge devrait conduire l’UE et ses États membres vers une politique étrangère qui place les droits humains au premier plan et reste constamment engagée envers la justice et la responsabilité. Pour ce faire, Amnesty International propose :
    • De donner une priorité aux droits humains dans la politique de l’UE envers les pays tiers, notamment l’Ukraine, Israël et les Territoires palestiniens occupés, la Chine, l’Inde, l’Éthiopie, le Soudan, le Burundi, la Turquie et l’Iran ; et en évitant, dans les efforts de coopération avec des pays tiers concernant le commerce, la sécurité énergétique, le numérique et d’autres défis mondiaux, de reléguer au second plan la responsabilité de ces États pour les violations graves des droits humains qu’ils ont commises.
    • D’intensifier la collaboration dans la défense du système international des droits humains et de l’universalité de ceux-ci en forgeant activement de véritables partenariats au sein des fora multilatéraux et au-delà.
    • De renforcer le soutien de l’UE et des États membres aux défenseurs des droits humains (DDH) par l’adoption de conclusions annuelles au Conseil des Affaires étrangères sur les DDH. Ces conclusions devraient offrir une vision stratégique décrivant comment l’UE et ses États membres soutiendront les DDH à l’échelle mondiale face aux défis croissants de leur travail, comment intégrer les préoccupations des DDH dans les différents domaines politiques de l’UE et comment renforcer la capacité de réponse aux crises. La Présidence belge devrait également orienter l’UE et ses États membres vers une politique de visas plus cohérente, coordonnée et prévisible pour les DDH.
  • Garantir des progrès concrets dans la protection et la promotion des droits humains et de l’état de droit au sein de l’UE, en particulier en veillant à obtenir la directive la plus exigeante possible pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, y compris l’infraction pénale de viol avec une définition basée sur le consentement ; avancer dans les procédures en cours en vertu de l’article 7 §1 du Traité sur l’Union européenne (TUE) ; et protéger l’espace civique.
  • Mener une régulation robuste des technologies au sein de l’UE, offrant de solides protections des droits fondamentaux contre les dommages potentiels induits par les systèmes d’intelligence artificielle (IA), et visant à mettre fin à la surveillance ciblée illégale et à assurer une plus grande régulation de l’industrie de la cybersurveillance :
    • Avant l’adoption de la loi sur l’IA, la Présidence belge devrait inciter les États membres de l’UE à combler les lacunes et les failles restantes dans le projet de règlement afin de prioriser la protection et la promotion des droits humains. La loi doit interdire l’utilisation des technologies d’IA fondamentalement incompatibles avec les droits humains, notamment la reconnaissance faciale, la police prédictive et les systèmes d’IA qui violent les droits des personnes en déplacement ; elle doit interdire l’exportation de ces systèmes au départ de l’UE ; combler les lacunes et supprimer les exemptions pour les entreprises privées, les autorités chargées de l’application de la loi, de la migration et de la sécurité nationale, qui compromettent la mise en œuvre effective de la loi et la responsabilité publique des agences étatiques. La loi ne doit pas créer une exemption générale pour des raisons de sécurité nationale, ni de dérogations pour la transparence publique et la responsabilité de l’utilisation de l’IA par les autorités chargées de l’application de la loi et de la migration.
    • La Présidence belge devrait encourager les États membres de l’UE à mettre immédiatement en place un moratoire sur la vente, le transfert et l’utilisation des technologies de logiciels espions, ainsi qu’une interdiction sur les types les plus intrusifs de logiciels espions. Étant donné l’ampleur des résultats obtenus suite aux révélations des Predator Files et le précédent projet Pegasus, il est urgent de suspendre les activités technologiques de surveillance de tous les États et entreprises, jusqu’à la mise en place d’un cadre réglementaire conforme aux droits humains.

Veuillez trouver ci-joint une annexe fournissant une analyse approfondie et des recommandations à l’attention de la Présidence belge.

Nous sommes prêt·es à fournir toute information supplémentaire nécessaire et à collaborer avec vous pendant la Présidence.

Nous vous remercions à l’avance pour les actions que vous mènerez en vue de concrétiser les engagements de l’UE en matière de droits humains.

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