MAROC ET SAHARA OCCIDENTAL - Procès d’un défenseur sahraoui des droits humains

Index AI : MDE 29/007/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

À la veille de l’ouverture à Laayoune du procès d’un défenseur des droits humains sahraoui, Brahim Dahane et de seize autres détenus, Amnesty International appelle les autorités marocaines à veiller à ce que les procédures soient conformes aux normes internationales d’équité des procès. L’appel de l’organisation est provoqué par de graves inquiétudes concernant l’équité de procès similaires qui se sont déroulés au cours des mois passés.

Brahim Dahane, détenu depuis son arrestation le 30 octobre 2005, doit être jugé, avec 16 co-accusés, pour diverses infractions principalement liées à la participation ou l’incitation à des manifestations violentes contre l’administration marocaine au Sahara occidental l’année dernière. Brahim Dahane est, en outre, inculpé d’appartenance à une organisation non autorisée, l’Association sahraouie de victimes de violations des droits humains commises par l’État marocain, dont il est le président. Avec d’autres militants, il a tenté au cours de ces derniers mois de faire enregistrer officiellement son association mais n’a pu achever la procédure en raison de ce qui apparaît comme une suite d’obstacles administratifs à motivation politique.

Comme d’autres défenseurs des droits humains sahraouis arrêtés au cours de ces derniers mois, Brahim Dahane semble avoir été ciblé en raison de son rôle à la tête d’un mouvement de défense des droits humains et pour avoir dénoncé les violences commises par les forces de sécurité marocaines pendant et après les manifestations qui ont débuté en mai 2005 ; il défend en outre publiquement l’autodétermination pour le Sahara occidental. Amnesty International considère Brahim Dahane comme un prisonnier d’opinion probable.

Le procès qui doit s’ouvrir le 4 avril suit la récente remise en liberté de cinq défenseurs sahraouis des droits humains, une avancée positive quelque peu gâchée toutefois par le harcèlement continu des défenseurs des droits humains au Sahara occidental.

Les cinq défenseurs des droits humains sahraouis - Himad Hammad, Houssein Lidri, Larbi Messaoud, Mohammed El-Moutaouakil et Brahim Noumria - ont recouvré la liberté à la suite d’une grâce royale accordée le 25 mars 2006, à l’occasion d’une visite du roi Mohamed VI au Sahara occidental. Ils font partie d’un groupe de sept défenseurs des droits humains inculpés et condamnés en décembre 2005 et janvier 2006 à des peines allant jusqu’à deux années d’emprisonnement pour participation et incitation à des manifestations violentes contre l’administration marocaine au Sahara occidental en 2005.

Aminatou Haidar et Ali-Salem Tamek, deux autres défenseurs des droits humains, ont été, pour l’une remise en liberté en janvier 2006 après avoir purgé une peine de sept mois de prison pour l’autre, exclu de la grâce et maintenu en détention, parce qu’il serait considéré comme le porte-parole principal, en territoire sous administration marocaine, des partisans de l’indépendance du Sahara. Amnesty International avait fait part de son inquiétude concernant l’équité des procès des sept défenseurs, bien connus de l’organisation comme militants des droits humains. L’organisation les considérait comme des prisonniers d’opinion probables.

Tout en saluant les libérations intervenues, Amnesty International s’inquiète par ailleurs du harcèlement et des actes d’intimidation dont auraient fait l’objet plusieurs défenseurs sahraouis des droits humains au moment de la visite du roi Mohamed VI au Sahara occidental fin mars 2006. Ghalia Djimi, vice-présidente de l’Association sahraouie de victimes de violations graves des droits humains commises par l’État marocain, et son mari Mustapha Dah, membre de la même association, ont été arrêtés à Laayoune vers vingt heures le 24 mars 2006 et ont passé la nuit au poste avant d’être remis en liberté, sans inculpation, vers quinze heures le lendemain. Ghalia Djimi a déclaré qu’ils avaient été interrogés sur leur position concernant la visite du roi, ainsi que sur leurs convictions politiques et les actions de leur association.

Indépendamment de cet évènement, Hamoud Iguilid, président de la section de l’Association marocaine des droits humains à Laayoune, a été arrêté à Laayoune le 18 mars 2006 et emmené à un poste de police. Il a déclaré à Amnesty International avoir reçu des coups de matraque lors de son arrestation et pendant son transfert dans le car de police. Détenu pendant plusieurs heures, il dit avoir été menacé d’emprisonnement s’il continuait à disséminer de « fausses informations » concernant les atteintes aux droits humains. Il a été remis en liberté sans avoir été inculpé.

Au cours de l’année 2005, Amnesty International a fait part de son inquiétude à propos de plusieurs affaires concernant des défenseurs des droits humains au Sahara occidental, arrêtés, détenus pour interrogatoire puis relâchés. Pour certains d’entre eux, il semble que cela ait été une réponse aux critiques publiques qu’ils avaient exprimées concernant l’attitude des forces de sécurité marocaines.

La vulnérabilité des défenseurs des droits humains au Sahara occidental est accrue du fait que ni l’Association sahraouie de victimes de violations graves des droits humains commises par l’État marocain, ni l’autre association à laquelle de nombreux défenseurs appartiennent, le Forum Vérité et Justice - Section Sahara, ne sont autorisées par les autorités marocaines. Le Forum Vérité et Justice a été dissous par décision de justice en juin 2003 au motif que l’organisation se livrait à des activités illégales susceptibles de troubler l’ordre public et de porter atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc. Pourtant, les activités décrites comme illégales se référaient, semble-t-il , uniquement à l’exercice du droit à l’expression des membres de l’organisation en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental et à la diffusion de leurs idées concernant des questions relatives aux droits humains auprès d’organisations internationales de défense des droits humains comme Amnesty International.

Compte tenu de ses préoccupations constantes, Amnesty International appelle les autorités marocaines à prendre des mesures concrètes visant à prévenir tout acte de harcèlement ou d’intimidation vis-à-vis des défenseurs des droits humains au Sahara occidental et à faire en sorte qu’ils jouissent de tous les droits inscrits dans les textes de droit international, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Déclaration des Nations unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998. En particulier, les autorités marocaines doivent se conformer pleinement aux articles 5 et 6 de la Déclaration :

Article 5

Afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international :

(...)
de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer ; (...)

Article 6

Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres :
(...)
b) Conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ;

(...)

Complément d’information

Selon les chiffres officiels, 216 prisonniers ont été graciés par le roi Mohamed VI le 25 mars 2006. En dehors des cinq défenseurs des droits humains mentionnés précédemment, vingt-cinq autres personnes environ, arrêtées pendant ou après les manifestations de l’année dernière à Laayoune et Smara et inculpées pour entente délictueuse, trouble à l’ordre public, destruction de biens publics, participation à un rassemblement armé et violence à l’encontre de membres des forces de sécurité, ont été remises en liberté. Elles avaient été inculpées et condamnées à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison, au cours de plusieurs procès qui se sont échelonnés entre juin 2005 et janvier 2006.

Les cinq défenseurs des droits humains sahraouis graciés ont passé jusqu’à huit mois en détention pour certains, à la prison civile de Laayoune. Tous les cinq, ainsi qu’Aminatou Haidar et Ali-Salem Tamek, avaient été arrêtés entre juin et août 2005, avant d’être inculpés et condamnés à la prison par la Cour d’appel de Laayoune le 14 décembre 2005. Aminatou Haidar avait été condamnée à sept mois de réclusion, Ali-Salem Tamek à huit mois, Houssein Lidri, Larbi Messaoud, Mohamed El-Moutaouakil et Brahim Noumria à dix mois chacun, et Himad Hammad à deux ans. Aminatou Haidar a été remise en liberté à la fin de sa peine le 16 janvier 2006. Les dossiers des six autres condamnés avaient été réexaminés par la chambre d’appel de la Cour d’appel de Laayoune le 24 janvier 2006. La peine contre Ali-Salem Tamek avait été aggravée, passant de huit à dix mois de réclusion. Les peines prononcées en première instance contre Himad Hammad, Houssein Lidri, Larbi Messaoud , Mohamed El-Moutaouakil et Brahim Noumria avaient été confirmées.

Amnesty International a fait campagne en faveur de ces défenseurs des droits humains depuis leur arrestation l’année passée, faisant part de ses inquiétudes aux autorités marocaines et à la communauté internationale à de nombreuses occasions. L’organisation avait également envoyé Samir Ben Amor, avocat tunisien des droits humains, en tant qu’observateur pour assister à la première audience principale du procès de sept d’entre eux en novembre 2005.

En réponse à ses inquiétudes, Amnesty International a reçu deux lettres détaillées du ministère marocain de la justice en juillet 2005 et février 2006. Le ministère y déclare que les défenseurs des droits humains n’ont pas été arrêtés et traduits en justice en raison de leurs opinions, mais bien plutôt en raison de leur implication dans des actes passibles de poursuites pénales. Il souligne qu’ils ont bénéficié de toutes les garanties prévues par le droit marocain lors de leur arrestation, de leur détention et de leur procès et donne des précisions concernant les enquêtes en cours sur les allégations de torture concernant Houssein Lidri et Brahim Noumria. Il réfute par ailleurs les allégations spécifiques de harcèlement et d’intimidation à l’égard d’autres défenseurs des droits humains au Sahara occidental.

Amnesty International s’est réjouie de ces réponses qui témoignent de la volonté des autorités marocaines d’engager le dialogue sur les questions relatives aux droits humains. L’organisation note toutefois que les autorités n’ont pour l’instant pas répondu à l’inquiétude principale de l’organisation concernant l’équité des procès des défenseurs des droits humains ; aucune réponse n’a par exemple été apportée à propos des allégations de torture et mauvais traitements entachant les éléments de preuve et sur le fait que les accusés n’ont pas été autorisés à citer de témoins à décharge.

Pour plus d’informations concernant les actions menées par les autorités marocaines à l’encontre des défenseurs sahraouis des droits humains, veuillez consulter les documents suivants, disponibles sur le site de l’organisation :

Maroc et Sahara occidental. Des défenseurs des droits humains sahraouis pris pour cible (index AI : MDE 29/008/2005)

Maroc et Sahara occidental. Des défenseurs des droits humains comparaissent en justice (index AI : MDE 29/009/2005)

Maroc et Sahara occidental.Des défenseurs des droits humains incarcérés au terme d’un procès douteux (index AI : MDE 29/010/2005)

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