BURUNDI - L’immunité provisoire ne contribue en rien à mettre fin à l’impunité

Index AI : AFR 16/001/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

L’impunité pour les atteintes aux droits humains constitue l’une des plus graves menaces au plein exercice des droits et libertés de la personne humaine. Les mesures d’immunité provisoire prises par les différents gouvernements du Burundi ces cinq dernières années n’ont pas contribué à remédier au climat d’impunité qui règne depuis des décennies et risque de compromettre le processus de réconciliation. L’impunité prive les victimes et leurs familles du droit de voir les responsables présumés traduits en justice, de connaître la vérité et d’obtenir pleine et entière réparation.

Aux termes de la Loi du 21 novembre 2003 portant immunité provisoire de poursuites judiciaires en faveur des leaders politiques rentrant d’exil, les dirigeants politiques qui auraient été impliqués dans des crimes à caractère « politique » se sont vus accorder l’immunité provisoire, étant entendu que la vérité serait établie plus tard et que les auteurs auraient à rendre compte de leurs actes. Amnesty International déplore que le gouvernement du Burundi n’ait, pour les crimes passés relevant du droit international et les autres atteintes aux droits humains, progressé sur aucune des trois facettes de la lutte contre l’impunité, à savoir la justice, la vérité et la réparation pleine et entière.

L’organisation s’inquiète tout particulièrement de ce que l’octroi de l’immunité provisoire n’a pas été assorti des mesures nécessaires en vue de faire face au problème de l’impunité.

Il y a peu, le 3 janvier 2006, le président Pierre Nkurunziza a décrété que les « prisonniers politiques » bénéficieraient de l’immunité provisoire, dans le droit fil des recommandations d’une commission spéciale, instaurée en novembre 2005 et chargée de les identifier. Six jours après ce décret présidentiel, le 9 janvier 2006, le ministre de la Justice a officiellement ordonné la libération de 673 « prisonniers politiques » incarcérés dans les prisons burundaises.

On ne connaît pas précisément les limites de ces mesures accordant l’immunité provisoire. La loi de novembre 2003 définit cette immunité comme « la suspension des poursuites pénales [pour] les infractions à mobile politique ». Se pose alors la question de savoir si ces dispositions pourraient s’appliquer à ceux qui avaient déjà été reconnus coupables et condamnés pour des crimes qualifiés plus tard de politiques.

Le ministre de la Justice a fait savoir le 10 janvier 2006 que les « prisonniers politiques » remis en liberté devraient comparaître devant une commission vérité et réconciliation. Toutefois, celle-ci n’est pas encore mise sur pied et, à la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure n’a véritablement été prise en vue de la créer prochainement. Si elle est instituée dans le respect des normes internationales, en tant qu’organe indépendant et impartial représentant toutes les composantes de la société civile et doté d’un mandat, de pouvoirs et de ressources suffisants, cette commission au service de la vérité pourrait contribuer à lutter contre l’impunité.

D’autre part, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 20 juin 2005, la résolution 1606 avalisant la création d’une chambre spéciale au sein de l’appareil judiciaire burundais. Les négociations entre les Nations unies et le gouvernement burundais n’ont pas encore commencé. La situation n’a guère évolué en ce qui concerne la création de cette chambre spéciale, les modifications à apporter au code de procédure pénale et la formation de son personnel. En outre, il semble que rien n’ait été entrepris en vue de promulguer les textes législatifs définissant les crimes, les principes de responsabilité pénale ou les recours, dans le respect des normes les plus strictes en matière de droit international, notamment des Conventions de Genève et de leurs protocoles, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Amnesty International réaffirme l’importance de voir tous les auteurs de graves atteintes aux droits humains traduits en justice dans le cadre d’un procès équitable et dans le plus strict respect des normes internationales - et sans recourir à la peine capitale.

L’organisation exhorte les autorités à mettre sur pied dans les meilleurs délais une commission vérité et réconciliation indépendante et impartiale. Les allégations de violations des droits fondamentaux doivent faire l’objet d’investigations approfondies et publiques. Les victimes, leurs familles et la société ont le droit de connaître toute la vérité. Cependant, cette procédure non judiciaire ne doit pas se substituer aux informations judiciaires et aux poursuites pénales devant un tribunal indépendant, pas plus qu’elle ne doit entraver ni restreindre les informations judiciaires et les actions civiles.

Enfin, la loi burundaise ne garantit pas le droit des victimes de crimes de droit international et d’autres atteintes aux droits humains, ou de leurs familles, d’obtenir pleine et entière réparation, notamment par la restitution, la réadaptation, l’indemnisation, la réhabilitation, et les garanties de non-répétition. Elle ne prévoit pas non plus de recours judiciaire effectif permettant d’octroyer ces réparations. Aussi Amnesty International engage-t-elle les autorités du Burundi à adopter des garanties et une procédure judiciaire efficaces afin que toutes les victimes de ces crimes reçoivent pleine et entière réparation.

Complément d’information

Depuis le début des années 60, les autorités burundaises n’ont pas pris de mesures concrètes et ciblées afin de lutter contre l’impunité. Les gouvernements ont marqué peu d’empressement à mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur les violations flagrantes des droits humains, à traduire les auteurs présumés en justice et à accorder réparation aux victimes.

Les groupes ethniques s’accusent mutuellement d’être responsables d’atteintes flagrantes aux droits fondamentaux. Les populations hutues font souvent référence aux tueries perpétrées par l’armée gouvernementale en 1972. Quant aux populations tutsies, elles mettent en avant les massacres de 1993.

Aucune des récentes mesures concernant l’immunité provisoire dont bénéficient les personnes impliquées dans des « crimes politiques » n’a été porteuse de justice, de vérité ou de réparation.

Tout d’abord, l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (dit Accord d’Arusha), signé en août 2000 par la majorité des parties au conflit, à l’exception du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi-Forces pour la défense de la démocratie au Burundi) et du FNL (Forces nationales de libération), prévoyait l’octroi de l’immunité provisoire pour les « crimes politiques » commis avant cet accord.

Puis, fin novembre 2003, l’Assemblée nationale burundaise a promulgué la Loi du 21 novembre 2003 portant immunité provisoire de poursuites judiciaires en faveur des leaders politiques rentrant d’exil. Aux termes de ce texte, l’immunité provisoire est accordée aux dirigeants politiques ayant commis des infractions politiques à compter du 1er juillet 1962. Cette loi excluait de son champ d’application les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, conformément au droit international qui interdit les amnisties et autres mesures d’impunité pour de tels crimes ; toutefois, elle englobait d’autres crimes de droit international, comme la torture et les mauvais traitements. (Cependant, cette exclusion ne garantissait pas que les auteurs présumés de tels crimes feraient l’objet d’une enquête et, en cas de preuves recevables suffisantes, seraient poursuivis pour ces crimes ou de graves crimes de droit commun - meurtre, agression, viol et enlèvement notamment.)

Enfin, en mars 2004, le CNDD-FDD et le gouvernement de transition ont signé le Protocole de Pretoria sur les questions restées en suspens en vue du partage des pouvoirs politique, de défense et de sécurité au Burundi, afin d’étendre l’immunité provisoire aux dirigeants et combattants du CNDD-FDD, ainsi qu’aux forces de sécurité gouvernementales.

Pour que le processus de réconciliation aboutisse et que justice soit rendue, tous les crimes commis par le passé doivent faire l’objet d’enquêtes, et leurs auteurs présumés doivent être poursuivis. Jusqu’à présent, les gouvernements ont privilégié, au détriment de ces mesures, la nécessité d’instaurer un « silence réparateur. »

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