I.5.2. L’esclavage

Bernardin de Saint Pierre, auteur de Paul et Virginie, écrit dans ses Voyages à l’Île de France : « Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On va dépeupler l’Amérique afin de trouver une terre pour les planter ; on dépeuple l’Afrique afin d’avoir une nation pour les cultiver ».
L’esclavage n’a jusqu’à maintenant pas eu de barrières spatiales ni temporelles. En effet, l’esclavage existait déjà à l’époque de l’Antiquité. Dans la pratique, les formes de domination d’un groupe d’hommes sur un autre groupe forment un continuum qui n’a pas de limites bien tranchées.
On peut penser que l’esclavage a vu le jour dès la sédentarisation des hommes. À partir de ce moment, la volonté d’accroître son territoire et son élevage a poussé les hommes à lutter contre d’autres quitte à réduire en esclavage les ennemis vaincus.
Le terme « esclavage » vient du latin médiéval sclavus déformation de slavus. Dans l’Antiquité gréco-latine, les esclaves étaient presque toujours des Européens eux-mêmes. On pouvait être réduit en esclavage pour une dette ou à la suite d’une razzia. Mais le plus souvent, on devenait esclave à la suite d’une défaite militaire ou encore héréditairement. À l’apogée de l’Empire romain, Rome comptait environ 400 000 esclaves. Il faut comprendre l’esclavage romain comme une déshumanisation de la personne, puisqu’on parle de « cheptel humain » (Aristote). Les soldats romains préféraient se suicider que de tomber en esclavage chez un peuple « barbare », ou plutôt « non romain » (les Romains considéraient tous les « non Romains » comme des barbares).
Il faut souligner aussi que c’est l’esclavage qui a permis le fonctionnement de la « démocratie grecque » dans les périodes où celle-ci était en vigueur. Il fallait en effet, pour que les hommes libres puissent passer leurs journées à discuter ou à voter, qu’ils disposent d’esclaves pour travailler à leur place aux champs, à la mine ou dans leurs commerces. À Athènes, à l’époque classique, les trois quarts de la population étaient composés d’esclaves.48
En Europe orientale : à l’époque carolingienne, dans la première partie du Moyen-Âge, les guerriers chrétiens menaient des combats sans relâche contre les tribus païennes de langue slave. Leurs prisonniers alimentaient en grand nombre un commerce fructueux entre Venise et l’Empire arabe du sud de la Méditerranée.
Les marchands vénitiens, bien que de religion chrétienne, ne voient pas d’objection à vendre ainsi des païens slaves aux musulmans. Ce trafic se tarit vers l’an 1100 du fait de la christianisation des Slaves.46
En Europe Occidentale : au temps de Charlemagne et de ses successeurs, sous l’effet de l’insécurité et de la dégradation du pouvoir central, les paysans sacrifient leur liberté en échange d’un lopin de terre et de la protection du principal guerrier du lieu, le seigneur. Ils deviennent des serfs (une déformation du mot latin servus, esclave).
Mais à la différence des esclaves de l’Antiquité, les serfs de l’époque carolingienne ne peuvent être vendus comme des meubles ; ils demeurent attachés à leur lopin de terre.
Dans le monde arabo-musulman : après la mort du prophète Mahomet et la conquête de la péninsule arabe, les musulmans ont conquis les rives méridionales et orientales de la Méditerranée.
Multipliant les prises de guerre, ils ont prolongé dans ces régions l’esclavage à la mode antique.
Les musulmans s’abstenaient, comme les chrétiens du Haut Moyen-Âge, de réduire en esclavage leurs coreligionnaires.
Pour les tâches domestiques et les travaux des ateliers et des champs, les sujets du calife ont exploité de grandes quantités d’esclaves en provenance des pays slaves, d’Europe méditerranéenne et surtout d’Afrique noire. Les esclaves étaient maltraités et souvent mutilés ou castrés.
Les premiers esclaves utilisés par les musulmans étaient donc des Blancs païens (c’est-à-dire non christianisés) originaires des pays slaves. À la fin du Moyen-Âge, avec la christianisation de ces populations païennes, ce vivier s’épuisa. Les pays musulmans s’approvisionnèrent dès lors auprès des pirates qui écumaient la Méditerranée.
L’expansion européenne, à partir de la fin du XIIIème siècle, mit fin aux razzias de prisonniers blancs à destination des pays musulmans.
La traite arabe des esclaves noirs a commencé en 652, dix ans après la mort de Mahomet, lorsque le général arabe Abdallah ben Sayd a imposé aux Nubiens (les habitants de la vallée du Nil) la livraison de 360 esclaves par an.47
Selon Ralf A.Austen (« The Trans-Saharian Slave Trade : A Tentative Census », dans The Uncommon Market : Essays in the Economic History of the Atlantic Slave Trade, sous la direction de Henry A. Gemery et Jan. S. Hogendorn, New York, The Academic Press, 1979) on peut estimer à 7 450 000 le nombre d’esclaves noirs victimes de la traite transsaharienne entre le XVIIème siècle et le XXème siècle.
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En parallèle à la traite arabe, la traite atlantique, elle aussi, « saigne le continent noir de son capital humain ». Pendant plus de quatre siècles (de la fin du XVème au XIXème siècle), un commerce régulier d’esclaves va permettre de construire les Amériques et de faire prospérer les États chrétiens d’Europe.
La traite atlantique, aussi appelée la « traite européenne », représente un véritable négoce international lucratif.
Le commerce européen d’esclaves noirs débute dès le XVème siècle, avant même la découverte des Amériques (1492, Christophe Colomb). Les esclaves sont achetés par des marchands portugais et espagnols pour les faire travailler sur des exploitations agricoles de la péninsule ibérique.
Sur place, en Afrique, les razzias et rapts organisés par les Européens cèdent vite le pas à un commerce régulier. À contre cœur, les sociétés africaines entrent dans le système négrier, quitte à chercher à en tirer le maximum d’avantages. Voyez, entre autres exemples, les protestations du roi de Kongo Nzinga Mvemba : « converti » au christianisme dès 1491, celui-ci considère le souverain du Portugal comme son « frère » et, après sa prise de pouvoir en 1506, il ne comprend pas que les Portugais, sujets de son « frère », se permettent de razzier ses possessions et d’emmener les gens de Kongo en esclavage. Ce sera en vain : cet adversaire de la traite se laissera peu à peu convaincre de l’utilité et de la nécessité de ce commerce. En effet, parmi les marchandises proposées en échange des hommes, les fusils occupent une place de choix. Et seuls les États équipés de ces fusils, c’est-à-dire ceux participant à la traite, peuvent à la fois s’opposer aux attaques éventuelles de leurs voisins et développer des politiques expansionnistes.47
Après la découverte de l’Amérique, les colons européens veulent développer dans le Nouveau Monde les cultures tropicales (café, cacao, tabac etc.) et exploiter les mines d’argent.
Ils cherchent tout d’abord à asservir les Indiens qui, accoutumés à une existence autonome, résistent à l’asservissement.48
À cela s’ajoute la condamnation en 1537 par le pape Paul III de l’esclavage des Indiens. Il affirme leurs droits en tant qu’êtres humains à la liberté et à la propriété.
Mais, même si les conclusions religieuses optent pour l’humanité des Indiens, elles ont peu de poids face aux avidités économiques. La cupidité et la soif de l’or des Européens les dispensent désormais de toute bienveillance. Par milliers, les Indiens du Nouveau Monde sont réduits en esclavage dans les mines. Les maladies importées par les conquistadors ajoutées à la férocité des guerres de conquête achèvent la destruction de ces peuples et de leur civilisation.49
L’évêque Las Casas, surnommé l’apôtre des Indiens, au début du XVIe siècle, évoquant les souffrances endurées par les Indiens, propose d’intensifier l’importation d’Africains aux Indes occidentales (Antilles) pour sauver ce qui subsiste des Indiens. En mettant à la disposition de chaque colon espagnol 12 esclaves noirs, il serait possible de remplacer les Indiens. Las Casas a d’ailleurs déploré, par la suite, d’avoir suggéré au roi d’intensifier l’acheminement d’esclaves venant d’Afrique, ayant compris que réduire en esclavage des Noirs était aussi injuste que de le faire avec des Indiens, et que le développement de la traite des Noirs n’avait pas donné la liberté aux Indiens ni amélioré leur triste sort.50
Pour en savoir plus
Controverse de Valladolid (1550)
Visionnez le téléfilm : La Controverse de Valladolid, réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe en 1992, d’après un scénario de Jean-Claude Carrière.

Au XVIe siècle, l’Espagne, alors en plein essor, s’interroge sur la place qui doit être faite aux indigènes indiens dont elle a colonisé les territoires en Amérique. Charles Quint convoque une assemblée sous l’égide du légat du Pape, afin de débattre de la question et prendre position sur l’esclavage dont ils sont victimes. De lourds enjeux économiques sont en jeu et l’Église est divisée sur la question de l’accession des Indiens au statut d’être humain. Bartolomé de Las Casas plaide pour les indigènes tandis que Juan Ginés de Sepúlveda, plus conservateur, défend les intérêts coloniaux.
Le Nouveau Monde hispanique commence à importer des captifs africains dès le début du XVIème siècle, mais la traite des Africains ne fait que s’intensifier par la suite.
Les planteurs portugais et espagnols les traitent avec toute la brutalité possible, non sans accorder un intérêt concupiscent aux femmes noires. D’où l’apparition d’une importante population métissée.
L’esclavage devient une véritable institution.
En 1619, les premiers esclaves africains débarquent dans l’Amérique du nord anglo-saxonne.
Les nécessités économiques liées à la conquête du Nouveau Monde vont intensifier la traite des Noirs d’Afrique vers l’Amérique. Leur déportation atteint son apogée au XIIIème siècle. On estime à plus de dix millions le nombre de Noirs déportés depuis le XVème siècle et réduits en esclavage. Ils sont déportés comme « bois d’ébène » par les bateaux négriers pour travailler dans les Antilles, en Amérique du Sud et aux États-Unis. Pendant trois siècles, la traite des Noirs ravage l’Afrique de l’Ouest, en s’enfonçant de plus en plus à l’intérieur des terres à mesure qu’augmentent les besoins.
Un commerce triangulaire s’établit entre les ports européens, comptoirs d’Afrique et lieux de débarquement d’Amérique. Aux XVIIème siècle et XVIIIème siècle environ 100 000 à 150 000 esclaves sont vendus chaque année aux négriers européens. En trois siècles, plus de dix millions de Noirs africains sont ainsi emmenés en esclavage dans les possessions européennes du Nouveau Monde. Environ trois millions de déportés périssent pendant la traversée.
Le Code noir, élaboré en 1685, produit du droit pour ceux qui en sont totalement privés.51
Par ce texte, Jean Baptiste Colbert, secrétaire d’État à la Marine sous Louis XIV, manifeste sa volonté d’encadrer les pratiques ignominieuses à défaut de les interdire.
Deux articles du Code noir

n Article 38. « L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule. S’il récidive une autre fois il aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort ».
n Article 44. « Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer en la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre cohéritiers, sans préciput ni droit d’aînesse, ni être sujets au douaire coutumier... aux formalités des décrets... en cas de disposition à cause de mort ou testamentaire. »
Le Code noir sera définitivement aboli par décret en 1848 grâce aux efforts de Victor Schoelcher (1804-1893), député de la Guadeloupe et de la Martinique.
Ces deux systèmes esclavagistes (arabe et européen) ont en commun la même justification de l’injustifiable : le racisme, plus ou moins explicite, et puisant pareillement dans le registre religieux. Dans les deux cas, on trouve en effet la même interprétation fallacieuse de la Genèse selon laquelle les Noirs d’Afrique seraient maudits et condamnés à être des esclaves, étant prétendument les descendants de Cham (fils de Noé maudit par Dieu pour avoir contemplé la nudité de son père victime d’une crise d’ébriété).52
Recherche
n Quel est le dernier pays à avoir aboli l’esclavage ?
n L’esclavage a-t-il complètement disparu ?
n Quelle est la différence entre l’esclavage d’aujourd’hui et celui d’hier ? Quelles sont les similitudes ?
Films
n Amistad (1997 - Steven Spielberg, États-Unis)
Inspiré d’une histoire vraie le film retrace l’incroyable voyage d’un groupe d’esclaves africains. Maîtres de leur bateau après une mutinerie sanglante, ils essaient de rejoindre leur pays natal. Lorsque le navire, La Amistad, est arraisonné, les esclaves sont conduits aux États-Unis où, jugés pour meurtre, ils attendent leur sort en prison. La bataille acharnée autour de leur procès attire l’attention de la nation toute entière et met en cause les fondements du système judiciaire américain. Mais pour les hommes et les femmes emprisonnés, il s’agit tout simplement du combat pour le respect d’un droit fondamental et inaliénable : la liberté.

Dans le courant du XXème siècle, les discriminations principalement raciales, ont revêtu des formes atroces.
La théorie de la suprématie de la « race » blanche a atteint son développement idéologique et institutionnel dans le Sud des Etats-unis entre les années 1890 et 1950, et en Afrique du Sud sous l’apartheid. Quant à l’antisémitisme, il a atteint son paroxysme dans l’Allemagne nazie entre 1933 et 1945.
Le XXème siècle a connu plusieurs génocides : celui des Arméniens en Europe centrale, celui des Juifs et des Tziganes sous le régime nazi.

Qu’est-ce qu’un régime raciste ?
Un tel régime s’appuie sur une idéologie officielle et ouvertement raciste. Les autorités proclament des différences entre le groupe dominant et celui qu’il tente de maintenir en état d’infériorité. La ségrégation est inscrite dans la loi. Certains de ces régimes peuvent revêtir des formes démocratiques (c’était le cas des États-unis et de l’Afrique du Sud puisque le gouvernement était élu), mais les membres du groupe stigmatisé sont souvent exclus de la fonction publique et leur accès aux ressources et aux opportunités économiques est limité.53

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