TUNISIE

De très nombreux prisonniers politiques, parmi lesquels figuraient des prisonniers d’opinion, ont été libérés. Plusieurs dizaines de personnes poursuivies pour activités « terroristes » ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. De nouveaux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés. Des centaines de prisonniers politiques, dont certains étaient des prisonniers d’opinion, restaient en détention. Nombre d’entre eux étaient incarcérés depuis plus de dix ans. Malgré les recommandations émises au début de 2003 par une commission d’enquête gouvernementale visant à l’amélioration des conditions de vie dans les prisons et les centres de détention, des informations faisaient toujours état de placements à l’isolement et de privation de soins médicaux. La liberté d’expression et d’association demeurait soumise à des restrictions sévères.

République tunisienne
CAPITALE : Tunis
SUPERFICIE : 164 150 km²
POPULATION : 9,9 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Zine el Abidine Ben Ali
CHEF DU GOUVERNEMENT : Mohamed Ghannouchi
PEINE DE MORT : abolie en pratique
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

Contexte

Le 24 octobre, le président Ben Ali a été réélu pour un quatrième mandat, avec près de 95 p. cent des voix selon les chiffres officiels. Son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), a remporté 152 des 189 sièges de la Chambre des députés. En vertu de modifications du Code électoral adoptées en 2003, les candidats ne pouvaient utiliser que les chaînes de télévision et les radios nationales publiques ; celles-ci étaient contrôlées par le gouvernement, ce qui a grandement désavantagé les candidats de l’opposition. Selon certaines sources, les actes de harcèlement et d’intimidation des opposants et militants politiques ainsi que des détracteurs du gouvernement se sont multipliés pendant la campagne électorale. C’est ainsi que Hamma Hammami, responsable du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT), a été agressé par des hommes en civil que l’on pensait être des policiers. Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République (CPR), un parti politique non autorisé, a été retenu à l’aéroport et interrogé par la police.

De nouvelles lois visant à limiter les flux migratoires ont été adoptées en janvier. Des contrôles plus stricts des eaux territoriales tunisiennes et des bateaux susceptibles de transporter illégalement des migrants vers l’Europe ont été instaurés. Les documents de voyage ont été modifiés et des mesures ont été prises contre les réseaux criminels soupçonnés de trafic d’êtres humains. Des centaines de migrants en partance pour l’Europe ont été interceptés au cours de l’année. De très nombreux autres auraient trouvé la mort alors qu’ils tentaient de traverser la Méditerranée.

Libération de prisonniers politiques

Au moins 79 détenus politiques, dont certains étaient des prisonniers d’opinion, ont été remis en liberté conditionnelle en novembre. La plupart étaient incarcérés depuis plus de dix ans en raison de leur appartenance ou de leur soutien au mouvement islamiste interdit Ennahda (Renaissance). Ils avaient été arrêtés, torturés et emprisonnés au début des années 90, au terme de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires. La grande majorité d’entre eux avaient pratiquement terminé de purger leur peine.

Violences contre les femmes

En août a été promulguée une loi sur les atteintes aux bonnes mœurs et le harcèlement sexuel, qui porte modification de l’article 226 du Code pénal. Elle étend la définition du harcèlement sexuel aux gestes, paroles ou actes qui portent atteinte à la dignité ou aux sentiments d’autrui. Le texte porte les peines pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail ou en public à un an d’emprisonnement et à une amende de 3 000 dinars (environ 1 800 euros). La peine est doublée si la victime est un enfant ou une personne particulièrement vulnérable du fait d’une incapacité physique ou mentale. Tout en accueillant favorablement cette loi, les militants des droits des femmes ont regretté qu’elle lie le harcèlement sexuel aux atteintes aux bonnes mœurs. Ils ont également déploré l’absence de définition satisfaisante du harcèlement ainsi que de dispositions appropriées pour les enquêtes sur les plaintes.

Procès inéquitables et autres violations des droits humains
dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »

Au moins 15 personnes ont été inculpées en vertu de la loi relative à la lutte contre le « terrorisme » promulguée en décembre 2003. Amnesty International restait préoccupée par les dispositions permettant la prolongation de la détention provisoire sans limitation de durée, ainsi que par l’absence de garanties pour les personnes susceptibles d’être extradées vers des pays où elles risquaient d’être victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux.
 Adil Rahali, renvoyé d’Irlande en avril après le rejet de sa demande d’asile, a été arrêté à son retour en Tunisie. Cet homme de vingt-sept ans a été détenu au secret pendant plusieurs jours à la Direction de la sûreté de l’État du ministère de l’Intérieur, où il aurait été torturé. Adil Rahali, qui avait travaillé en Europe pendant plus de dix ans, a été inculpé, aux termes d’une loi de 2003 relative à la lutte contre le « terrorisme », d’appartenance à une organisation « terroriste » opérant à l’étranger. Le nom de cette organisation n’a pas été rendu public et aucune information n’a été révélée sur la nature exacte de ses activités. L’avocat d’Adil Rahali a déposé une plainte pour torture, mais aucune enquête ne semblait avoir été ordonnée. Le procès devait s’ouvrir en février 2005.

Plusieurs dizaines de personnes poursuivies pour activités « terroristes » ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. Dans les cas exposés ci-après, les accusés n’étaient pas inculpés aux termes de la loi de lutte contre le « terrorisme » car ils avaient été arrêtés avant son entrée en vigueur.
 En avril, sept jeunes gens ont été reconnus coupables, à l’issue d’un procès inéquitable, d’appartenance à une organisation « terroriste », de détention ou de fabrication d’explosifs, de vol, de consultation de sites Internet interdits et de participation à des rassemblements non autorisés. Deux autres ont été condamnés par contumace. Ils étaient au nombre des dizaines de personnes arrêtées en février 2003 à Zarzis, dans le sud du pays, et dont la plupart avaient été remises en liberté au cours du même mois.
Le procès n’a pas respecté les normes internationales d’équité. Selon les avocats de la défense, la plupart des dates d’arrestation et, dans un cas, le lieu de l’interpellation avaient été falsifiés dans les procès-verbaux de la police. Les accusés se sont plaints d’avoir été battus, suspendus au plafond et menacés de viol ; le tribunal n’a ordonné aucune enquête. Les déclarations de culpabilité reposaient presque entièrement sur des « aveux » obtenus sous la contrainte. Les accusés ont nié à l’audience toutes les charges formulées contre eux.
 En juillet, six d’entre eux, qui avaient été condamnés en première instance à dix-neuf ans et trois mois de détention, ont vu leur peine réduite à treize ans par la cour d’appel de Tunis. La Cour de cassation a rejeté leur pourvoi en décembre. Un autre accusé, mineur au moment des faits, a vu sa peine ramenée à vingt-quatre mois d’emprisonnement.
 En juin, 13 étudiants ont été condamnés, à l’issue d’un procès inique, à des peines comprises entre quatre ans et seize ans et trois mois d’emprisonnement, assorties de dix ans de contrôle administratif ; un étudiant a été jugé par contumace. Ces jeunes gens, dont la plupart étaient originaires d’Ariana, ont été déclarés coupables d’activités « terroristes ». Appréhendés le 14 et le 15 février 2003, ils ont tous affirmé à l’audience que leurs déclarations avaient été recueillies sous la torture pendant leur détention par la Direction de la sûreté de l’État. Le dossier de l’accusation reposait presque exclusivement sur leurs « aveux ». Aucune enquête n’a été effectuée sur les allégations de torture formulées par ces étudiants. L’audience d’appel a été reportée à janvier 2005.

Liberté d’expression

Les organisations de défense des droits humains et de journalistes ont accusé le gouvernement de restreindre la liberté de presse et de chercher à renforcer son contrôle sur la presse, alors que les autorités avaient assuré que des mesures seraient prises pour garantir la liberté d’expression. L’accès à Internet était régulièrement bloqué et les messages envoyés à certaines adresses de courrier électronique ne parvenaient jamais à leur destinataire.
 En janvier, le ministère de l’Intérieur a de nouveau refusé d’autoriser la publication d’une version imprimée de l’hebdomadaire en ligne Kalima. Aux termes de la législation tunisienne, toute personne souhaitant diffuser une publication doit faire une déclaration qui donne lieu - automatiquement en principe - à un reçu du ministère de l’Intérieur. Les imprimeurs ne peuvent tirer légalement une publication en l’absence de ce récépissé. Les autorités n’ont pas fait savoir pourquoi elles n’avaient pas délivré de reçu pour Kalima.
 En août, le gouvernement a promulgué une loi sur la protection des données, qui visait officiellement à protéger la vie privée. Toutefois, cette loi avait manifestement pour effet d’empêcher les journalistes, les écrivains et les organisations non gouvernementales de publier des informations personnelles sans autorisation, tout en n’imposant aucune restriction à la détention ou à l’utilisation de telles données par les autorités. La loi a également instauré une commission nationale disposant du pouvoir suprême en matière de protection des données. Les rapports annuels de cette commission, qui sont destinés au président de la République, ne sont pas rendus publics.

Défenseurs des droits humains

Plusieurs organisations de défense des droits humains qui sollicitaient leur enregistrement depuis plusieurs années n’avaient toujours pas été reconnues légalement, sans que les autorités n’indiquent la raison de leur refus. C’était notamment le cas de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie, du Conseil national des libertés en Tunisie et du Centre de Tunis pour l’indépendance de la justice. Des membres de ces organisations non gouvernementales se sont plaints d’avoir été harcelés et intimidés par la police.
 En juin, les membres fondateurs de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie ont été frappés par des policiers alors qu’ils tentaient de faire enregistrer leur organisation, que les autorités avaient à plusieurs reprises refusé de reconnaître légalement, sans fournir d’explication. Radhia Nasraoui, Ali Ben Salem et Ridha Barakati, trois membres éminents de l’association, se sont rendus au bureau du gouverneur de Tunis et ont insisté pour rencontrer le responsable du dossier. Après un sit-in de six heures, ils ont été agressés par des hommes en civil - des policiers, selon toute apparence - qui les ont évacués par la force.

Torture et mauvais traitements dans les prisons

De nouvelles informations ont fait état de la surpopulation carcérale et du traitement discriminatoire infligé aux prisonniers politiques. L’absence de soins médicaux, le manque d’hygiène ainsi que le recours à la torture et aux mauvais traitements restaient des sujets de préoccupation.
 Plusieurs dizaines de prisonniers politiques étaient placés à l’isolement prolongé dans des cellules minuscules. Certains étaient ainsi maintenus depuis plus de dix ans, en violation de la législation tunisienne et des normes internationales. Les prisonniers observaient régulièrement des grèves de la faim prolongées pour dénoncer leurs conditions de détention.
 En juin, Nabil El Ouaer, un prisonnier politique détenu dans la prison de Borj er Roumi, à Tunis, s’est plaint d’avoir été battu et transféré au quartier disciplinaire. Il a affirmé que, dans la nuit, on avait fait pénétrer dans sa cellule quatre détenus de droit commun, qui l’avaient violé et soumis à d’autres formes de sévices sexuels. Il a ensuite été conduit à l’hôpital Rabta de Tunis, sans explication. Les autorités, qui tentaient semble-t-il d’étouffer cette affaire, l’ont transféré dans trois prisons différentes en l’espace d’un mois. Nabil El Ouaer souffrait apparemment de troubles psychologiques à la suite de cette agression. Bien que son avocat ait sollicité à plusieurs reprises l’ouverture d’une information judiciaire indépendante, aucune enquête n’a été effectuée. Nabil El Ouaer a été remis en liberté conditionnelle au mois de novembre, en même temps que de nombreux autres prisonniers politiques. Il était incarcéré depuis 1992, après avoir été condamné lors d’un procès inéquitable devant un tribunal militaire.


Mort en détention

 Badreddine Reguii, vingt-neuf ans, est mort le 8 février dans la prison de Bouchoucha, à Tunis. La police a dit à sa famille qu’il s’était suicidé. Ses proches ont réclamé une nouvelle enquête, les premières investigations n’ayant pas établi l’origine des contusions étendues observées sur son corps ainsi que d’une profonde blessure au dos.

Autres documents d’Amnesty International
 Tunisie. Amnesty International lance un appel en faveur d’un plus grand respect des droits humains au moment où le président Ben Ali est réélu (MDE 30/007/2004).
 Tunisie. La libération d’un grand nombre de prisonniers politiques constitue une mesure encourageante (MDE 30/009/2004).

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