4.6. Les crimes d’honneur.

4. 6. Les crimes d’honneur

“Les gens du village sont d’accord avec la loi des hommes. Si on ne tue pas une fille qui a déshonoré sa famille, les gens du village rejettent cette famille, plus personne ne veut lui parler, ou faire du commerce avec elle, la famille doit partir ! Alors... ”, décrit Jacqueline, condamnée à mort pas ses propres parents pour s’être laissée séduire par un homme qui lui promettait le mariage. Brûlée vive par son beau-frère, qui avait été chargé de “s’occuper d’elle”, elle a survécu par miracle.

Il ne faut pas confondre les crimes dits d’honneur avec les crimes passionnels. Ces derniers se limitent normalement au crime commis par un partenaire (le mari ou la femme) en relation avec l’autre en tant que réponse spontanée (émotionnelle ou passionnée) (en matière de défense, on parle souvent de "provocation sexuelle"). Les crimes dits d’honneur comprennent les violences ou le meurtre (généralement) de femmes par un membre de la famille ou une relation familiale (y compris les partenaires) au nom de l’honneur individuel ou de la famille.
Le concept de l’honneur, du moins lorsqu’il est associé au crime, n’est pas facile à définir et varie souvent selon le sexe de la personne : celui de la femme comprend traditionnellement les concepts de virginité, de modestie ou d’amour désintéressé alors que l’honneur masculin est considéré comme la capacité de défendre l’honneur de la femme.

Les crimes dits d’honneur sont une pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion, enracinée dans un code complexe qui permet à un homme de tuer ou d’abuser d’une femme de sa famille ou de sa partenaire pour cause de "comportement immoral" réel ou supposé.
Parfois, cela peut partir d’un fait tout-à-fait anodin, comme bavarder avec un voisin de l’autre sexe, le fait de recevoir des appels téléphoniques d’hommes, le fait de n’avoir pas servi un repas en temps voulu...

Mais le plus souvent, ces femmes sont accusées d’avoir eut des relations sexuelles en dehors du mariage, d’avoir refusé les “avances” de leur mari (ou celui qu’on a choisi pour elles) ou d’avoir été violées par un étranger. ou de “s’être laissée violée”. Une femme violée jette l’opprobre sur la communauté et déshonore sa famille, tout autant que si elle avait une liaison.

Le code de l’honneur est implacable : les femmes qui sont soupçonnées n’ont aucune possibilité de se défendre et, pour les membres de leur famille, la seule solution socialement acceptable consiste à rétablir leur honneur en les attaquant. Dans les crimes d’honneur, la femme victime de l’agression est considérée comme la coupable ; l’homme à qui elle "appartenait" est partie lésée et bénéficie du soutien de la population.

L’idée que l’honneur d’une famille dépend de la virginité d’une jeune fille ou de la fidélité d’une femme mariée est profondément ancrée dans les mentalités. Cela n’a rien à voir avec la religion. “Tout peut partir d’une calomnie, d’une robe trop courte, d’une volonté de vengeance...” Le crime d’honneur n’est pas commis sous le coup de la colère, il s’agit souvent d’une décision familiale.

Plus de 5000 cas de crimes d’honneur sont répertoriés chaque année dans le monde ! Toutefois, il est pratiquement impossible d’évaluer avec précision le nombre de crimes dits d’honneur. Le sentiment de honte et des menaces au sein de la communauté (en connexion avec le fait que les victimes de violence domestique ne parlent pas car elles n’ont pas conscience qu’un crime a été commis) et le fait qu’elles sont émotionnellement et économiquement dépendantes de l’agresseur leur donne une fausse perception car elles pensent "mériter" la punition si bien que les témoins ne se manifestent guère et que les décès sont généralement classés parmi les accidents et les suicides.

Les crimes d’honneur dans le monde

Les crimes d’honneur se produisent et affectent un large éventail de cultures, de communautés, de religions et d’ethnies. Les crimes dits d’honneur sont perpétrés dans un grand nombre de pays dont l’Afghanistan, le Bangladesh, le Brésil, l’Egypte, l’Inde, l’Iran, Israël et les Territoires Palestiniens autonomes, la Jordanie, le Liban, le Nigéria, le Pakistan, le Pérou, les Etats-Unis d’Amérique, la Turquie, le Royaume-Uni, l’Italie, la Norvège, la Suède, l’Allemagne, etc.

La plupart des crimes d’honneur sont perpétrés dans les pays musulmans ou au sein des communautés d’immigrés musulmans. Le paradoxe, c’est que l’islam ne préconise pas la peine de mort pour inconduite liée à l’honneur et beaucoup de dirigeants islamiques condamnent cette pratique et affirment qu’elle n’a pas de fondement religieux.
Toutefois, tout en condamnant la pratique des crimes dits d’honneur en tant que non-islamiques, les mêmes dirigeants (selon leur point de vue) ferment les yeux devant l’imposition des interprétations "classiques" ainsi que des sanctions de la jurisprudence islamique (loi de la Charia) mises en oeuvre par l’Etat pour les actes sexuels en dehors du mariage (comme par exemple le Hadd ou les ordonnances "Zina" au Pakistan, au Soudan ou au nord du Nigéria).

 En Jordanie, 5000 femmes avaient été victimes de leur famille pour des raisons d’honneur en 1997. Toutefois, les crimes d’honneur ont depuis diminué dans ce pays, sans doute parce que la famille royale les dénonce ouvertement et avec force.

 Au Cambodge, on a ainsi dénombré, en trois ans, 43 attaques à l’acide à l’égard d’épouses soi-disant infidèles, qui ont été défigurées par leur mari ou un membre de leur famille.

 Au Bangladesh, 775 personnes en ont été victimes entre 1999-2001. Les motifs les plus fréquents sont les refus d’avances sexuelles ou le rejet d’une demande en mariage.

 En Turquie, 40 des 77 femmes tuées par des membres de leur famille en 2003 ont été victimes de “crimes d’honneur”. Mais dans de nombreux cas, les victimes de crimes d’honneur ne sont pas déclarées ; des meurtres sont maquillés en suicides et les familles gardent le secret ; d’autres femmes sont contraintes ou conduites à se suicider.

 Au Liban, les tribunaux font preuve d’indulgence envers les hommes auteurs de crimes d’honneur.

 Au Pakistan, des centaines de femmes et de jeunes filles subissent chaque année le même sort avec l’approbation générale de l’opinion et sans que les autorités ne réagissent vraiment. En avril 2000, le Général Pervez Musharraf a déclaré que de tels actes n’avaient pas leur place dans la religion ou le droit pakistanais et que l’homicide au nom de l’honneur était un meurtre et serait traité comme tel. Malgré cette déclaration rassurante du Président pakistanais, on continue de faire état d’histoires terrifiantes d’assassinats de femmes. En effet, en janvier 2001, le Dr Shaheen Sardar Ali, Président du Comité national sur le statut des femmes du Pakistan, a déclaré que les crimes dits d’honneur étaient "basés sur les traditions et les coutumes comprenant l’honneur des familles rurales, féodales et tribales. Ceci ne s’arrêtera pas tant que les gens penseront que les femmes sont leur propriété personnelle." Toutefois, comme l’a mentionné la Commission indépendante des Droits de l’Homme du Pakistan, en 2002, 372 femmes ont été tuées dans ce pays au nom des crimes dits d’honneur.

Un nombre croissant d’assassinats prennent l’apparence de crimes d’honneur car leurs auteurs pensent, à juste titre, que de tels actes ne sont que rarement punis. Ces meurtres sont souvent commis pour les motifs les plus futiles : l’un de ces meurtriers a ainsi affirmé avoir rêvé que sa femme l’avait trompé !

Les méthodes des crimes d’honneur varient. Dans le Sind, une kari (littéralement une “femme noire”) et un karo (“homme noir”) sont massacrés à coups de hache, souvent avec la complicité de la communauté. Au Pendjab, les meurtres, généralement par arme à feu, sont plus souvent le résultat d’une décision individuelle et ils sont commis en privé. Dans la plupart des cas, le meurtre est perpétré par le mari, le père ou le frère de la femme accusée. Il arrive parfois que des jirgas (conseils tribaux) décident qu’une femme doit être tuée et envoient des hommes pour exécuter la décision. Les victimes, qui peuvent être des fillettes impubères aussi bien que des grands-mères, sont généralement tuées sur la base d’une simple allégation de relations sexuelles “ illicites ”. Elles n’ont jamais la possibilité de faire entendre leur propre version des faits car cela ne sert à rien ; l’allégation suffit à salir l’honneur d’un homme et justifie donc le meurtre de la femme.

Dans les pays occidentaux, la majorité des crimes dits d’honneur se produisent au sein des communautés d’immigrés. De nombreuses femmes immigrées ou réfugiées en Europe se sentent isolées et laissées en marge de la société d’accueil. Le plus souvent incapables de parler la langue du pays d’accueil, elles sont encore plus exposées aux violences de toutes sortes et ne peuvent avoir accès à l’aide juridique de l’Etat ou ne connaissent pas leurs droits. La menace de l’expulsion en raison de la non-conformité des lois sur l’immigration donne une dimension encore plus complexe à leur situation.

 Allemagne. Le 11 novembre 1999, un Kurde de 34 ans s’est donné la mort par balle sous les yeux de policiers, après avoir massacré sept membres d’une famille kurde. La police a avancé comme motif le “sentiment de l’honneur bafoué” car les membres de cette famille avaient refusé de laisser l’assassin prendre pour deuxième femme leur fille âgée de 19 ans.

 Suède. L’idéologie de “l’honneur familial” est un obstacle à l’intégration des femmes dans la société suédoise. Les parents kurdes ne tolèrent pas que leur fille ait, ou ait eu, un petit ami, alors que souvent, ils acceptent que leur fils ait une petite amie.

En janvier 2002, à Uppsala, un immigré kurde a tué sa fille, Fadime Sahindal, parce qu’elle refusait de se plier à la tradition kurde du mariage arrangé et avait une liaison avec un Suédois. Son assassinat a également soulevé la question du décès de son amant considéré initialement comme la conséquence d’un accident de voiture. Avant son assassinat, Fadime s’était même exprimée devant le Parlement suédois sur les difficultés rencontrées par les jeunes filles immigrées qui souhaitent vivre à l’occidentale. Le père de Fadime a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
En 1999, des réfugiés kurdes irakiens vivant en Suède sont retournés au Kurdistan irakien pour passer des vacances et marier à un Irakien leur fille de 19 ans, élève d’un établissement d’enseignement secondaire de Stockholm. Lorsqu’elle a refusé, la jeune fille a été tuée par son oncle.

-Royaume-Uni  : Au cours des cinq dernières années, on a enregistré au moins 20 décès liés à des crimes dits d’honneur.
En mai 1999, la Cour d’Assises de Nottingham a condamné une mère pakistanaise et son fils à la réclusion à vie pour avoir tué la fille de cette femme, Rukhsana Naz, (une mère enceinte, ayant deux enfants). A leurs yeux, Rukhsana avait fait honte à la famille en ayant une liaison hors mariage. Son frère l’a étranglée tandis que sa mère l’empêchait de se débattre.
En février 1999, le cas de Jack et Zena Briggs de Bradford, a été soulevé au sein de la Chambre des communes. Leur seul crime était qu’ils s’aimaient. Zena était promise par ses parents à un cousin du Pakistan qui ne lui convenait absolument pas. La famille l’a condamnée à mort et a employé des détectives privés, des chasseurs de primes et des hommes de main, heureusement sans succès. Ce couple a cependant connu des années de détresse et de difficultés étant constamment obligé de s’échapper et de se cacher.

 Etats-Unis : En mars 1993, la Cour Suprême du Missouri a entendu le cas d’une mère catholique romane brésilienne et de son mari palestinien et musulman qui ont été déclarés coupables au premier degré pour le meurtre de leur fille âgée de 16 ans, Palestina Isa. Elle avait trouvé un travail après l’école contre le souhait de ses parents et avait commencé à fréquenter un homme afro-américain. Pendant que sa mère la tenait, le père l’a poignardée au moins 16 fois.

En 1992, Lubaina Bhatti a été contrainte de se marier avec Nawaz Bhatti. Quelques années plus tard, Lubaina a accusé son mari de violence domestique mais sans le poursuivre devant le tribunal, de crainte que son époux ne ramène son fils au Pakistan. En février 1999, elle a finalement demandé le divorce. Le 11 septembre 1999, Nawaz Bhatti a assassiné sa femme, sa sœur, son père et sa nièce (il pensait que cette dernière avait aidé sa femme) pour défendre son "honneur", qui avait été entâché par les agissements déloyaux de sa femme.

Turquie : l’honneur, une notion ancrée dans les mentalités

“Ici, il n’y a aucun consensus sur ce qui constitue une atteinte à l’honneur. À Urfa, cela peut être de marcher devant son mari, ailleurs il faut quelque chose de plus “sérieux”, parler à un garçon par exemple.” Une avocate d’Urfa (Turquie)“ Parmi les excuses avancées pour avoir battu une femme dans sa maison il y a : “regarder longtemps par la fenêtre”, “dire bonjour à des amis de sexe masculin dans la rue”, “le téléphone sonne et il n’y a personne au bout du fil”, et “bavarder trop longtemps avec les commerçants””. Une militante des droits des femmes, Diyarbakir.

“Ils nous considèrent comme des croisées plein de bonnes intentions [...] Quand on s’est occupé d’enquêter sur un de ces meurtres, un collègue masculin m’a dit : “Tu es très jeune. Avec le temps, tu ne t’occuperas plus de ces affaires-là.” ” Une avocate qui enquête sur les “crimes d’honneur”.

À Elazig, en octobre 2002, un adolescent de seize ans et son frère de vingt-trois ans ont tué leur sœur qui venait de divorcer parce qu’elle “rentrait tard à la maison”. Dans leur déclaration à la police, ils ont dit : “Nous avons lavé notre honneur, nous ne regrettons rien. ”

“Selda”, âgée de treize ans et mariée, est allée au cinéma avec une parente à Urfa le 28 décembre 1996. Son mari l’a traînée à l’extérieur en l’accusant d’être une prostituée et il lui a tranché la gorge avec un couteau sur une place animée. Il a purgé une courte peine d’emprisonnement.

Le corps carbonisé de Naciye Atmaca a été identifié à Kahramanmaras en janvier 2004. Elle aurait été tuée par ses trois frères et par un autre homme sur ordre du conseil de famille, une réunion d’anciens qui décident traditionnellement du châtiment à infliger aux femmes considérées comme ayant déshonoré leur famille. Les quatre hommes ont été incarcérés en attendant d’être inculpés.

Ces exemples ont été tirés du rapport d’Amnesty International intitulé “Turquie, les femmes et la violence au sein de la famille”, publié en 2004. Ce rapport fourmille d’exemples qui prouvent à quel point les femmes sont encore victimes aujourd’hui de conceptions plaçant la femme à un rang nettement inférieur. Parfois, les femmes vont jusqu’à penser qu’elles méritent une “punition” corporelle : selon une étude, plus de 70 p. cent des femmes des régions rurales ont fait cette réponse. Dans certains cas, des femmes se seraient infligées elles-mêmes leur “punition”, par exemple en se suicidant, pour dégager leurs proches de sexe masculin de cette responsabilité et leur éviter une sanction pénale.

Pour en savoir plus :

  Turquie, les femmes et la violence au sein de la famille , Amnesty International, EUR 44/013/2004, disponible sur http://web.amnesty.org/library/index/FRAEUR440222004

  Pakistan, femmes et jeunes filles tuées pour des questions d’honneur, Amnesty International, ASA 33/18/99, 1999.

  Liban : Torture et mauvais traitement infligés aux femmes placées en détention préventive : une culture de l’assentiment, Amnesty International, MDE 18/009/01, 2001.

  Brûlée Vive, de Souad, Ed. Pocket.
Souad a dix-sept ans, elle est amoureuse. Dans son village comme dans beaucoup d’autres, l’amour avant le mariage est synonyme de mort. “Déshonorée”, sa famille désigne son beau-frère pour exécuter la sentence. Aux yeux de tous, cet homme est un héros...

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