L’avortement au Nicaragua — l’interdiction totale de l’avortement rend les médecins passibles de sanctions pénales et met en danger des femmes et des jeunes filles

« Avant, aucune femme n’était obligée de suivre un traitement particulier […] une femme avait parfaitement le droit de dire “je comprends les risques, je sais que je peux mourir, mais je choisis de garder le bébé” […] de même, si une femme me disait : “je suis triste de perdre le bébé, mais je veux suivre le traitement pour le cancer”, j’étais en mesure de respecter son droit de choisir de vivre.  » Un médecin nicaraguayen interrogé par amnesty international, novembre 2008
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Une nouvelle loi

Depuis juillet 2008, l’avortement est interdit en toutes circonstances au Nicaragua. Avant 2006, la législation du pays permettait aux personnes enceintes dont la vie ou la santé était en danger et, dans certains cas, aux victimes de viol d’échapper à l’interdiction générale de l’avortement. Cependant, la nouvelle version du Code pénal, qui est entrée en vigueur en juillet 2008, abroge toutes ces exceptions. La nouvelle loi rend passibles de sanctions pénales toutes les formes d’avortement, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est souhaité, subi ou pratiqué.

La nouvelle législation prévoit également des peines d’emprisonnement pour les professionnels de la santé qui font du tort au foetus en administrant aux personnes enceintes un traitement, quel qu’il soit. Les médecins et les autres soignant·es sont de fait dans une position impossible lorsqu’ils sont dans une situation où les exigences de la loi sont diamétralement opposées à leur obligation éthique de sauver la vie et de protéger la dignité de leur patiente. Les professionnel·les de la santé qui travaillent dans les hôpitaux et les cliniques du Nicaragua ne sont plus en mesure d’apporter le soutien et les soins qu’ils jugent appropriés en se fondant uniquement sur des considérations médicales et éthiques et sur les souhaits des patient·es. La menace de poursuites pénales qui plane au-dessus de leur tête peut constituer un obstacle à l’administration de soins médicaux appropriés, rapides et parfois vitaux.

La version 2008 du code pénal

La nouvelle version du Code pénal nicaraguayen supprime toutes les exceptions à l’interdiction générale de l’avortement. Les articles 143 et 145 du Code prévoient des peines d’emprisonnement pour les professionnels de la santé qui pratiquent un avortement ainsi que pour les personnes qui cherchent ou parviennent à se faire avorter. Ces sanctions s’appliquent même lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie ou la santé de la personne enceinte. Le Code pénal comprend également deux autres dispositions destinées aux praticien·nes : aux termes des articles 148 et 149, les médecins risquent en effet des poursuites pénales si, quelles que soient leurs intentions, des soins médicaux prodigués dans le but de préserver la santé ou la vie de la personne enceinte ou du foetus font du tort au foetus ou entraînent la mort de ce dernier.

Le fait de rendre tout avortement illégal sans exception accroît considérablement la souffrance de nombreuses femmes, jeunes filles et de toutes les personnes enceintes qui cherchent à obtenir des soins médicaux. Cela accentue leur souffrance physique, leur peur, leur dépression et leur honte, et les mène parfois à la mort ou à la tentative de suicide.

Cette nouvelle loi touche plus particulièrement certaines catégories de personnes, par exemple des personnes enceintes qui doivent suivre un traitement à cause d’une maladie mettant leur vie en danger, celles dont la grossesse présente des complications, celles qui nécessitent des soins après une fausse couche ou un avortement, ainsi que celles qui ont été victimes de viol ou d’inceste. La loi a pour effet de les priver de soins médicaux essentiels à un moment où elles risquent d’être en état de traumatisme, de ressentir une douleur extrême ou de craindre pour leur santé ou leur vie. En rendant illégal l’avortement, on ne le fera pas disparaître. Une telle mesure va plutôt inciter les personnes à se tourner, en désespoir de cause, vers l’avortement clandestin ou à le provoquer elles-mêmes, au risque de mettre leur santé et leur vie en péril et d’être poursuivies et incarcérées.

Le nouveau Code pénal a pour conséquences de faire courir des risques graves, voire mortels, à toutes les personnes dont la grossesse présente des complications. Il condamne également les victimes de viol et d’inceste à mener leur grossesse à terme. Le traumatisme de la violence sexuelle s’en trouve exacerbé et les conséquences d’une telle grossesse sur la santé physique et mentale de la victime, qui peut n’être qu’un·e enfant, sont ignorées.

Aux termes du droit international, le Nicaragua a pour obligation de protéger les droits humains des femmes et des jeunes filles. Amnesty International estime que la nouvelle loi sur l’avortement enfreint un certain nombre de droits fondamentaux que le pays s’est engagé à protéger, notamment le droit à la vie, le droit à la santé et le droit de ne pas subir de tortures ni d’autres mauvais traitements.
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Les raisons politiques derrière l’interdiction

Dans les mois qui ont précédé les élections présidentielles de novembre 2006, le thème de l’accès aux services assurant l’interruption de grossesse est devenu un sujet politique très controversé. Le peu d’écart entre les candidats avant l’élection les a rendus très réceptifs aux exigences des groupes de pression et les deux principaux partis ont décidé d’accéder à la demande des membres dirigeants de l’Église catholique et de certains autres groupes chrétiens en imposant une interdiction totale de l’avortement. Un projet de loi a été déposé devant l’Assemblée nationale en octobre 2006.

Alors que le débat s’intensifiait et que les élections se rapprochaient, 21 associations médicales nicaraguayennes, notamment celles représentant les gynécologues, les obstétricien·nes, les infirmier·es, les psychiatres et les spécialistes de la santé publique, ont publié une déclaration commune afin de protester contre l’interdiction des avortements thérapeutiques (si la santé ou la vie de la personne enceinte court un grave danger ou lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste, par exemple). Cette déclaration soulignait que, s’il était adopté, ce projet de loi limiterait la capacité des professionnels de la santé à administrer des soins et à exercer leur profession et appelait les autorités à prévoir des exceptions lorsque l’avortement est nécessaire pour sauver la vie ou préserver la santé des patient·es.

Des organismes internationaux très respectés ont également fait part de leur inquiétude. Une lettre collective, signée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), a été envoyée à l’Assemblée nationale nicaraguayenne. La Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est également exprimée à ce sujet.

« L’accès à l’avortement thérapeutique est un principe universellement reconnu qui transcende les différences culturelles, les croyances religieuses et les idéologies politiques. Dans la plupart des pays, le législateur a tenu compte des droits humains en général, mais l’avortement thérapeutique est avant tout une question de bon sens et d’humanité. » OPS, déclaration publique (traduction non officielle), octobre 2006

Cependant, bien que de nombreuses voix se soient élevées parmi les experts médicaux pour dénoncer ce projet de loi et malgré l’opposition des organismes internationaux pour la santé et la protection des droits humains, les membres de l’Assemblée nationale du Nicaragua ont voté le 26 octobre 2006 en faveur de ce projet qui supprime le droit des femmes à l’avortement thérapeutique légal. La nouvelle loi a été intégrée au Code pénal du pays et est entrée en vigueur en juillet 2008.
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Les médecins ont les mains liées

Amnesty International est convaincue que les droits fondamentaux des femmes, des filles et de toute personne susceptible d’être enceinte peuvent être gravement menacés lorsqu’il leur est difficile d’avoir accès à des services assurant des interruptions de grossesse en toute sécurité et légalement ainsi qu’à des informations à ce sujet. Aussi l’organisation appelle-t-elle les États à prendre les mesures suivantes afin de prévenir et de faire cesser les graves atteintes aux droits fondamentaux de ces personnes, conformément aux obligations qui incombent à ces États aux termes des normes internationales relatives aux droits humains :

(a) abroger toutes les lois qui permettent de sanctionner pénalement, notamment en les incarcérant, les personnes qui ont recours ou tentent d’avoir recours à l’avortement ainsi que toutes les autres lois qui prévoient l’emprisonnement ou d’autres sanctions pénales pour ceux qui fournissent des informations sur le sujet ou pratiquent des avortements ;

(b) permettre à toutes les personnes qui en ont besoin d’avoir accès, en toutes circonstances, aux services médicaux pour traiter les complications consécutives à un avortement, que celui-ci soit légal ou non ;

(c) prendre toutes les mesures nécessaires pour que des services assurant l’interruption de grossesse, sûrs, légaux, accessibles, acceptables et de bonne qualité soient à la disposition de toutes les personnes qui en ont besoin dans les cas de grossesse non désirée consécutive à un viol, une agression sexuelle ou un inceste, et dans les cas de grossesse mettant en danger la vie de la personne enceinte ou constituant une menace grave pour sa santé.

Amnesty International ne prend position sur aucun des autres aspects de l’avortement.

Avant l’entrée en vigueur de l’interdiction totale de l’avortement, les professionnels de la santé se référaient aux directives relatives aux meilleures pratiques publiées par le ministère de la Santé pour un avis sur les soins à prodiguer aux personnes souffrant de complications obstétricales. Ces Protocoles obstétricaux conseillaient des procédures appropriées pour des situations médicales spécifiques et contenaient des recommandations préconisant un avortement thérapeutique lorsqu’une grossesse mettait en danger la vie de la personne enceinte.

Cependant, dans la législation nicaraguayenne, le nouveau Code pénal prévaut sur les Protocoles obstétricaux et, dans les faits, les professionnels de la santé sont désormais confrontés à un choix difficile. Ainsi que le fait remarquer un chef de service en gynécologie : « ce que le ministère de la Santé nous demande, c’est tout simplement de commettre un crime et de devenir des criminels. On nous demande de nous appuyer sur les Protocoles obstétricaux qui, nous le savons, n’ont pas le même statut que la loi. Si je ne respecte pas les Protocoles, je risque des sanctions disciplinaires de la part du MINSA [le ministère de la Santé] et si je ne respecte pas la loi je risque des poursuites pénales. »

La nouvelle législation interdit de fait aux médecins de pratiquer des interventions médicales qu’ils auraient pu conseiller à des personnes enceintes se trouvant dans une situation à haut risque dans le but de leur sauver la vie – à moins que le ou la médecin ne soit prêt·e à risquer sa carrière professionnelle et une éventuelle peine de prison.

« Les médecins ont les mains liées. Nous sommes inquiets même lorsque nous devons intervenir pour une fausse couche, par exemple. » Un médecin nicaraguayen interrogé par amnesty international, octobre 2008

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Les risques pour les femmes, les jeunes filles, et toutes les personnes susceptibles d’être enceintes

La criminalisation de toute forme d’avortement et la peur des poursuites qui en découle font que des personnes nécessitant des soins obstétricaux urgents hésitent avant de s’adresser à un·e professionnel·le de la santé, et que ce ou cette dernier·e est parfois tenu·e par la loi de leur refuser le traitement indiqué d’un point de vue médical.

Une personne travaillant dans le domaine de la santé a fait état à Amnesty International du cas d’une femme admise à l’hôpital à la suite d’une fausse couche : elle était si terrifiée à l’idée d’être poursuivie pour avortement qu’elle a demandé aux médecins de ne pas intervenir. Elle craignait que les soins puissent être considérés comme une preuve montrant qu’elle avait volontairement interrompu sa grossesse.

Les personnes nécessitant des soins urgents peuvent même ne jamais arriver jusqu’aux grilles de l’hôpital si elles sont dénoncées aux autorités. L’effet dissuasif de l’interdiction s’étend aux personnes ayant fait une fausse couche, à celles dont la grossesse engage le pronostic vital ainsi qu’aux patient·es requérant des soins d’urgence à la suite d’un avortement clandestin qui a mal tourné.

D’autre part, la criminalisation de toute forme d’interruption volontaire de grossesse va probablement entraîner une augmentation du nombre d’avortements pratiqués dans de mauvaises conditions. Les avortements clandestins peuvent entraîner davantage de complications graves et définitives pour la santé des femmes, des filles et de toute personne susceptible d’être enceinte, par exemple la stérilité. Des interruptions de grossesse pratiquées dans de mauvaises conditions par des personnes non qualifiées et irresponsables travaillant dans un environnement insalubre peuvent, dans certains cas, entraîner la mort de la personne avortée.

Au Nicaragua, chaque année entre 1999 et 2005, 347 femmes et jeunes filles en moyenne ont interrompu une grossesse extra-utérine. La grossesse extra-utérine (lorsque l’ovule fécondé s’implante hors de l’utérus) est traitée comme une urgence médicale car elle peut entraîner des lésions permanentes voire, si elle n’est pas interrompue, la mort de la patiente. L’interdiction totale de l’avortement signifie que l’interruption de grossesses extra-utérines n’est plus légale dans ce pays.

Doublement victimes

« Et qu’arrive-t-il aux filles qui sont tombées enceintes après avoir été violées et qui vivent dans la pauvreté ? Elles n’ont plus d’autre choix [légal] que d’accoucher. » Une professionnelle de la santé travaillant dans un centre qui apporte un soutien psycho-social aux victimes de violence sexuelle, interrogée par Amnesty International, octobre 2008

Les personnes enceintes à la suite d’un viol n’ont désormais d’autre choix que de mener la grossesse à terme ou d’avoir recours à l’avortement pratiqué illégalement dans de mauvaises conditions. La peur et la menace de poursuites pénales et d’incarcération peuvent pousser les victimes de viol à poursuivre leur grossesse contre leur gré. Celles qui recourent à l’avortement clandestin, pratiqué dans de mauvaises conditions, risquent non seulement des complications de santé, voire leur vie, mais également de se retrouver en prison si elles sont découvertes.

D’une manière générale, le viol et l’inceste sont des crimes insuffisamment dénoncés dans le monde, et le Nicaragua ne fait pas exception. Cependant, les statistiques disponibles donnent à penser que bon nombre de violences sexuelles sont commises sur des jeunes filles et des adolescentes. Selon l’Institut de médecine légale du Nicaragua, 77 % des affaires de viol signalées en décembre 2008 concernaient des jeunes filles de moins de dix-sept ans.

En 2007, le ministère de la santé du nicaragua a enregistré, sur l’ensemble du territoire national, 115 décès liés à la maternité. un médecin spécialiste de la santé en matière de sexualité et de procréation a étudié les données relatives à chacun de ces décès ; il s’est rendu compte qu’au moins 12 patientes auraient pu être sauvées si elles avaient pu subir un avortement thérapeutique.

Ces statistiques sont consternantes. Et ce qui est d’autant plus terrible, c’est que toutes les victimes qui tombent enceintes à la suite d’un viol, y compris celles qui sont mineures, seront désormais obligées de mener leur grossesse à terme.

Les crimes liés à la violence sexuelle restant insuffisamment dénoncés, on ne sait pas avec certitude combien de viols débouchent sur une grossesse. Cependant, pour tenter d’avoir une image plus claire de la situation, l’ONG Catholics for Choice a mené une étude des cas de viols relatés par la presse locale. D’après les comptes rendus des journaux, entre 2005 et 2007, 1 247 jeunes filles ont été victimes de viol ou d’inceste. Cent quatre-vingt-dix-huit (16 %) de ces crimes auraient entraîné des grossesses. L’écrasante majorité des jeunes filles enceintes à la suite d’un viol ou d’un inceste (172 sur les 198) avaient entre dix et quatorze ans.

Si cette étude donne une idée de l’ampleur du phénomène de la violence sexuelle au Nicaragua, il est largement admis qu’en réalité ce problème est bien plus vaste, en particulier dans les zones rurales.

Les professionnel·les de la santé et les psychiatres qui travaillent avec des victimes de viol au Nicaragua ont fait part de leur profonde inquiétude quant aux conséquences que peut avoir sur les personnes le fait de mener à terme une grossesse non désirée consécutive à un viol.

« Un grand nombre de celles qui tombent enceintes à la suite d’un viol doivent quitter l’école. Elles n’arrivent pas à se concentrer et beaucoup nous disent qu’elles n’ont même pas la volonté de continuer à vivre. » Une psychiatre travaillant pour une organisation de soutien aux jeunes victimes de viol et de violences interrogée par Amnesty International, octobre 2008

Certains éléments montrent que les personnes qui sont tombées enceintes dans de telles circonstances et qui n’ont pas la possibilité de choisir de mener ou non leur grossesse à terme, ont tendance à vouloir mettre fin à leurs jours. Une analyse officielle des chiffres de 2007 et 2008 relatifs à la mortalité maternelle a montré que, par rapport à 2007, le nombre de décès d’adolescentes enceintes avait augmenté de 24 % en 2008. Les principales causes de la mortalité maternelle chez les adolescentes étaient la prééclampsie (hypertension) et l’absorption de poison.

Les recherches dans le domaine de la santé publique montrent qu’il existe un lien entre les grossesses non désirées et les suicides. Selon l’Organisation mondiale de la santé, « le suicide est de manière disproportionnée associé à la grossesse chez les adolescentes, et il semble être le dernier recours des femmes qui vivent une grossesse non désirée et dont le choix en matière de procréation est limité, par exemple dans les régions où la loi interdit à une femme célibataire d’obtenir des contraceptifs ou quand les services d’interruption légale de grossesse ne sont pas accessibles. »

Face à l’indifférence officielle et à l’attitude réprobatrice de la société, les femmes et les jeunes filles qui ont été victimes de violence sexuelle luttent pour se faire entendre.

«  Si je pouvais demander quelque chose aux autorités d’ici, je leur demanderais d’écouter et de croire ce que disent les victimes de viol et de traiter les victimes de violence sexuelle avec plus d’égards. Je leur demanderais de ne plus refuser aux victimes de viol la possibilité de l’avortement thérapeutique.  » La mère d’une enfant victime de viol

Les jeunes femmes et la pauvreté – payer le prix

Le Nicaragua affiche le plus fort taux de grossesse chez les adolescentes pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Environ un quart des accouchements qui y sont pratiqués concernent des jeunes filles et des jeunes femmes âgées de quinze à dixneuf ans. Ce taux est encore plus élevé dans les zones rurales, où une femme sur trois qui accouche est une adolescente.

La pénalisation de toutes les formes d’avortement comporte un danger particulier pour ces jeunes femmes et ces jeunes filles. Selon la Société des gynécologues et obstétriciens du Nicaragua, le risque de complications obstétricales est plus élevé chez les jeunes filles de moins de vingt ans que chez les femmes ayant entre vingt et trente-cinq ans. Dans le cas de très jeunes filles, le pelvis peut être encore trop étroit pour permettre un accouchement sans difficulté, et des problèmes mettant en jeu la santé et la vie de la patiente, l’éclampsie ou la prééclampsie par exemple, sont plus fréquents chez les adolescentes.

L’interdiction totale de l’avortement rend les jeunes personnes vivant au Nicaragua particulièrement vulnérables. Il est vraisemblable également que la majorité des victimes de cette interdiction seront des personnes pauvres. La mortalité maternelle les touche de manière disproportionnée, en particulier lorsqu’elles habitent dans des zones rurales ayant un accès restreint aux soins médicaux d’urgence.

M. avait dix-sept ans quand elle a été violée à plusieurs reprises par un proche de quarante-neuf ans. Elle a déclaré à Amnesty International : « Il m’a violée trois fois. En même temps il me disait qu’il allait nous tuer, ma mère et moi. Moi je pleurais et je suppliais… il a sorti son pistolet et j’étais terrifiée, horrifiée. Il a dit que je ne devais rien dire… J’ai parlé au bout de six mois, parce que mes règles n’arrivaient pas et que je ne pouvais plus supporter le silence… Je ne pensais pas que je pouvais être enceinte, je pensais que mes règles n’arrivaient pas à cause de la brutalité avec laquelle il m’avait violée. » M. a été emmenée chez le médecin.
« Le médecin m’a examinée et m’a dit que j’étais enceinte […] Moi, je me suis mise à pleurer, encore et encore. Plus tard j’ai failli mourir des suites de prééclampsie, je suis restée à l’hôpital plus d’une semaine. Finalement ils m’ont opérée et m’ont fait une césarienne… J’ai souvent eu envie de me suicider… Ce qui m’est arrivé a détruit mes rêves, mes espoirs – je voulais être quelqu’un qui travaille dehors, mais je passe toute la journée à la maison à m’occuper du bébé… Je ne peux même pas dormir et je ne me sens pas en sécurité, beaucoup de mes journées sont un cauchemar, c’est très difficile de continuer à avancer et je me sens très triste et très fatiguée. »

Réduire la mortalité maternelle et les maladies associées à la grossesse

Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) sont un ensemble d’objectifs en matière de développement, définis par les Nations unies et internationalement reconnus. Conformément à l’Objectif 5 (OMD 5), le gouvernement du Nicaragua s’est engagé à réduire la mortalité maternelle de 75 % d’ici 2015. Or, le fait d’ériger en infraction pénale toute forme d’avortement remet en cause cet engagement.

Le manque de données détaillées sur les décès liés à la maternité empêche de se faire une véritable idée de la tendance dans le domaine de la mortalité maternelle au Nicaragua, comme partout ailleurs. Ce genre d’informations est essentiel pour l’élaboration de stratégies destinées à lutter contre ces décès. Cependant, la pénalisation de toute forme d’avortement rend la collecte de données plus difficile puisque les personnes ont désormais recours à l’avortement clandestin, pratiqué dans de mauvaises conditions. Les morts et les maladies qui en découlent ne seront probablement pas incluses dans les statistiques officielles en raison de la peur et de la honte associées au non respect de la loi.

Par ailleurs, les professionnel·les de la santé qui choisissent d’interrompre la grossesse des personnes dont la vie est en danger sont souvent amené·es à ne pas tenir à jour les dossiers de leurs patient·es. Avec la menace de poursuites suspendue au-dessus de leur tête, un certain nombre pourraient même décider qu’il vaut mieux ne pas enregistrer correctement les soins donnés afin d’éviter à leur patient·e et à elles-même ou eux-mêmes le risque d’une enquête judiciaire.

Le gouvernement a reconnu qu’il reste plusieurs défis à relever pour réduire le nombre de personnes qui meurent au cours de leur grossesse ou lors de l’accouchement. Citons entre autres une pénurie de soins obstétricaux de qualité, le manque de structures et de services appropriés et accessibles et la pauvreté. Les décès liés à la maternité sont généralement dus à l’absence ou au retard dans l’administration de soins adaptés pour des complications obstétricales, ou bien surviennent à la suite d’un traitement inapproprié. Les autorités ont mis en place un certain nombre de programmes visant à réduire la mortalité maternelle et ont augmenté le budget alloué au secteur de la santé dans son ensemble. Ces importantes mesures méritent d’être reconnues. Cependant, le statut légal, l’existence, l’accessibilité et la qualité des services d’avortement, ainsi que les informations à ce sujet, sont des éléments essentiels pour déterminer dans quelle mesure un pays peut parvenir à réaliser l’OMD 5. Le fait de déclarer l’avortement illégal en toutes circonstances et de dresser un obstacle juridique entre les médecins et la nécessité d’administrer en temps voulu des soins médicaux adaptés dans le domaine de la santé maternelle et génésique ne peut avoir que des effets néfastes sur les programmes visant à réduire la mortalité maternelle. Tant que ces dispositions pénales resteront en vigueur, la santé et la vie des femmes, des filles et de toutes les personnes susceptibles d’être enceintes vivant au Nicaragua seront en danger.

« Nous pouvons perdre notre autorisation d’exercer la médecine, notre liberté et notre réputation parce que nous agissons quand c’est nécessaire. » Un médecin interrogé par amnesty international, nicaragua, octobre 2008
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