Iran. Une élection sur fond de contestation et de troubles

SYNTHÈSE

L’élection présidentielle iranienne doit avoir lieu ce 12 juin. Les candidats sont : Mahmoud Ahmadinejad, le président sortant ; Mohsen Rezaei, ancien responsable des pasdaran (gardiens de la révolution) ; Mir Hossein Mousavi, ancien Premier ministre (soutenu par l’ancien président Mohammad Khatami) ; et Mehdi Karroubi, ancien président de l’Assemblée parlementaire.

Si Amnesty International se félicite que certains des candidats à l’élection se soient engagés à se préoccuper de la question de la discrimination généralisée dont sont victimes les femmes – que l’action menée par les défenseurs des droits des femmes a propulsée au cœur des débats – et les minorités ethniques en Iran, et à s’attaquer aux problèmes économiques dans le but d’améliorer le bien-être de la population, certains autres sujets graves en rapport avec les droits humains méritent également qu’on s’y intéresse : restrictions sévères à la liberté d’expression, arrestations arbitraires, actes de torture et autres types de mauvais traitements, procès iniques, ainsi que le recours important à la peine de mort (notamment contre des mineurs délinquants) et plusieurs cas de lapidation à mort.

• Ont été exécutées jusqu’à présent cette année en Iran au moins 194 personnes, parmi lesquelles cinq femmes et trois jeunes gens déclarés coupables de crimes semble-t-il perpétrés alors qu’ils étaient mineurs, catégorie de délinquants dont la mise à mort est strictement interdite par le droit international.

• On sait par ailleurs qu’au moins 140 autres mineurs sont détenus dans le quartier des condamnés à mort en Iran.

• Au moins une personne a été lapidée à mort cette année dans ce pays en dépit d’une directive de 2002 émanant du responsable du système judiciaire, ordonnant un moratoire sur les lapidations. Amnesty International sait par ailleurs que sept femmes et trois hommes se trouvent actuellement sous le coup d’une sentence capitale par lapidation.

La campagne électorale a également été accompagnée d’une répression accrue, visant à la fois les personnes exprimant directement leur opinion sur les élections ou celles considérées comme opposantes au système d’une manière ou d’une autre, notamment des étudiants, des défenseurs des droits des femmes, des avocats et des membres de minorités religieuses non reconnues, comme les Baha’is et les Ahl-e Haq (Gens de la Vérité).

Amnesty International déplore par ailleurs le fait que tous les candidats à l’élection sauf les quatre encore en lice, et notamment toutes les candidates, se soient vu interdire de se présenter, sur la base de critères discriminatoires. Le Conseil des gardiens est l’organe soumettant tous les candidats à une procédure de sélection de façon à « garantir leur aptitude à assumer la fonction présidentielle ».
L’article 115 de la Constitution iranienne dispose que le président de la République doit être choisi parmi les « personnalités [en persan : rejal] religieuses et politiques » du pays et être « d’origine iranienne, de nationalité iranienne, administrateur et avisé, pourvu de bons antécédents, digne de confiance, vertueux, pieux et attaché aux fondements de la République Islamique d’Iran et à la religion officielle du pays. » Lors d’élections précédentes, la majorité des candidats inscrits – notamment la totalité des candidates – ont été rejetés sur la base de ces critères. Les femmes auraient été écartées parce que le Conseil a considéré que le mot rejal signifiait « hommes » et non « personnalités ».

Amnesty International est préoccupée par l’augmentation du nombre d’arrestations ces dernières semaines, signe d’une intensification de la répression visant ceux qui souhaitent exprimer leur opinion.

Au cours de cette campagne électorale, Amnesty International a reçu des informations faisant état d’une multiplication des arrestations arbitraires et des actes de harcèlement, visant principalement des membres de minorités religieuses et ethniques, notamment des Baha’is et d’anciens musulmans convertis, ainsi que des étudiants, des syndicalistes et des défenseurs des droits des femmes.

En incarcérant certaines personnes au simple motif que celles-ci ont exprimé leur désaccord avec le pouvoir, les autorités iraniennes étouffent toute possibilité de débattre librement, alors qu’il s’agit là d’une des conditions préalables à la tenue d’élections. Il faut que les citoyens puissent ouvertement faire part de leurs doléances et de leurs demandes, afin que les candidats puissent les prendre en considération.

Jelveh Javaheri, qui milite en faveur de la Campagne du million de signatures (également appelée Campagne pour l’égalité), dont le but est de recueillir des signatures pour une pétition exigeant l’égalité de droits pour les femmes, a été libérée sous caution le 7 juin. Elle est l’une des quelque 150 personnes arrêtées le 1er mai 2009. La plupart de celles-ci – dont l’époux de Jelveh Javaheri, le journaliste Kaveh Mozaffari, qui est maintenu en détention avec plusieurs autres – ont été arrêtées au parc Laleh, à Téhéran, où avait lieu une commémoration de la Journée internationale des travailleurs. Jelveh Javaheri a quant à elle été appréhendée chez elle sans qu’un mandat d’arrêt n’ait été émis à son encontre, lorsque des responsables de la sécurité publique se sont présentés accompagnés de son mari pour fouiller leur domicile. Elle a depuis lors été inculpée du chef d’« activités nuisant à la sécurité nationale en sa qualité de membre de la Campagne du million de signatures, et ayant pour but de troubler l’ordre et la sécurité publics ». Au moins trois autres femmes liées à la Campagne pour l’égalité sont actuellement incarcérées, notamment Alieh Aghdam-Doust, qui purge une peine de trois ans d’emprisonnement.

• La campagne de Mir Hossein Mousavi – lui-même issu de la minorité azérie – a été marquée par des allégations de racisme, après la publication d’une vidéo sur YouTube le 14 mai, montrant semble-t-il l’ancien président Mohammad Khatami (qui soutient M. Mousavi) faisant des déclarations rabaissant les Azéris d’Iran. Mohammad Khatami a depuis lors affirmé qu’il s’agissait d’une imposture. Les jours suivant la diffusion de la vidéo, des centaines de militants azéris ont organisé des rassemblements et des actions de protestation, exigeant que M. Khatami présente des excuses. Certains ont été arrêtés et sont actuellement maintenus au secret.

• Le 22 mai par exemple, lors d’un rassemblement organisé par le gouvernement dans le parc El Goli (aussi connu sous le nom de Shah Golu), à Tabriz, dans le nord-ouest de l’Iran, un groupe d’Azéris a manifesté afin de protester contre la vidéo et de réclamer la mise en place d’un enseignement de la langue turque azérie. Ali Reza Farshi, professeur à l’université islamique Azad de Marand, au nord-ouest de Tabriz, ainsi que 14 autres manifestants auraient été arrêtés et se trouveraient toujours en détention. Quatre d’entre eux ont semble-t-il été blessés et saignaient alors qu’on les escortait hors du parc. On ne dispose d’aucune information concernant leur état de santé.

• Le 27 mai, Emad Bahavar, qui est à la tête de la branche jeunesse du Mouvement pour la liberté de l’Iran et faisait campagne pour le candidat à la présidence Mir-Hossein Mousavi, a été arrêté pour « diffusion de propagande contre le système ». Il a depuis lors été remis en liberté sous caution.

• Au moins deux étudiants de l’université Amir Kabir – Abbas Hakimzadeh et Mehdi Mashayekhi – sont maintenus en détention sans jugement par le ministère du Renseignement à la section 209 de la prison d’Evin (Téhéran) depuis leur arrestation en février 2009. D’autres étudiants appréhendés en même temps qu’eux et ayant été remis en liberté depuis lors ont dit avoir été torturés en détention. Le 28 avril 2009, le juge d’un tribunal révolutionnaire a déclaré que huit étudiants, dont ceux qui sont toujours incarcérés, avaient été accusés de coopération avec l’Organisation iranienne des moudjahidin du peuple, un groupe d’opposition en exil. Il a ajouté qu’ils avaient projeté de mener des activités à l’université pendant le prochain scrutin.

• À la suite d’un affrontement violent en avril entre membres du Parti pour une vie libre au Kurdistan, un groupe d’opposition armée kurde, et les forces de sécurité, qui a fait au moins 18 morts parmi les policiers, des dizaines de Kurdes auraient été arrêtés. D’autres auraient été appréhendés à la suite d’une visite de huit jours du guide suprême, Ali Khamenei, dans la province du Kurdistan à la mi-mai.

• Les troubles violents que connaît la province de Sistan-e Baloutchistan (sud-est de l’Iran) se sont intensifiés en amont de cette élection. Le 28 mai, un membre du Mouvement iranien de résistance des peuples, un groupe armé baloutche, a commis un attentat-suicide visant une mosquée dans la capitale provinciale de Zahedan. Près de 25 personnes auraient été tuées et des dizaines d’autres blessées. Le Mouvement iranien de résistance des peuples a déclaré qu’il s’agissait de représailles contre l’exécution de plusieurs ecclésiastiques sunnites ces dernières années. Amnesty International a condamné cette attaque.

• Moins de quarante-huit heures après les faits, trois hommes ont été pendus en public non loin du lieu de l’attentat, certaines informations leur en attribuant la responsabilité. Selon des déclarations ultérieures, ces trois hommes se trouvaient en détention au moment de l’attaque mais avaient « avoué » avoir fourni les explosifs ayant servi lors de celle-ci. De nouveaux troubles ont éclaté par la suite, faisant environ dix morts et donnant lieu à des dizaines d’arrestations.

• Les Baloutches d’Iran sont, à l’instar d’autres minorités du pays, victimes de discriminations imposées par les autorités nationales, qui se traduisent par des violations flagrantes de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Vivant principalement dans les provinces de Sistan-e Baloutchistan et de Kerman, cette minorité représenterait entre un et trois % de la population totale du pays (environ 70 millions d’habitants). Il s’agit pour la plupart de musulmans sunnites, tandis que la population iranienne est majoritairement chiite.

Note aux rédacteurs :

Pour de plus amples informations, voir :

Iran. Les autorités doivent garantir la tenue d’une élection présidentielle libre. Voir Ici

Iran : Human Rights in the spotlight on the 30th Anniversary of the Islamic Revolution (en anglais) ICI

Iran:Worsening Repression of Dissent as Election Approaches (en anglais) ICI

Iran : Women’s rights defenders defy repression (MDE 13/018/2008, en anglais) ICI

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