Inde : Graves inquiétudes à propos de l’équité du procès de Binayak Sen, défenseur des droits humains

L’ajournement du procès de Binayak Sen, défenseur des droits humains titulaire de plusieurs prix pour son action et actuellement emprisonné, suivi de l’arrestation de T. G. Ajay, autre défenseur des droits humains présent à son procès, font planer des doutes sérieux sur la possibilité pour Binayak Sen d’être jugé dans le respect des normes internationales d’équité des procès par le tribunal de Raipur en Inde, a déclaré Amnesty International ce mercredi 25 juin.

Détenu depuis le 14 mai 2007, Binayak Sen doit répondre de nombreuses charges, en particulier aux termes de la loi spéciale de 2006 sur la sécurité publique de Chattisgarh (CSPSA) sanctionnant les « activités illégales » et l’appartenance à des « organisations terroristes » interdites. S’il était reconnu coupable, il pourrait être condamné à la réclusion à perpétuité.

Binayak Sen est l’un des premiers à avoir travaillé pour rendre les soins de santé accessibles aux adivasis (communautés indigènes) et aux mineurs de fond dans les villages éloignés du Chattisgarh. Il a reçu plusieurs prix pour son action qu’il mène depuis plus de vingt ans. En tant que vice-président du PUCL (Union populaire pour les libertés publiques), principale organisation indienne de défense des droits humains, Binayak Sen a attiré l’attention sur les homicides illégaux et autres atteintes aux droits fondamentaux des personnes au Chattisgarh, lors d’affrontements armés entre les forces de sécurité et Salwa Judum, une milice privée généralement considérée comme soutenue par le gouvernement de l’État, d’une part et la guérilla armée du Parti communiste indien (maoïste), interdit, d’autre part.

Peu après l’arrestation de Binayak Sen, Amnesty International avait demandé qu’il soit libéré, ou inculpé d’une infraction pénale reconnue. (Inde. Le gouvernement du Chattisgarh détient un défenseur des droits humains et refuse d’arrêter des policiers soupçonnés d’implication dans des homicides illégaux d ’adivasis, Déclaration publique ASA 20/013/2007 du 24 mai 2007). On a toutes les raisons de croire que les accusations portées contre lui obéissent à des motivations politiques. Aucune enquête n’a jusqu’à maintenant été menée sur les allégations d’homicides illégaux d’adivasis, dans lesquels auraient été impliquées Salwa Judum et la police de l’État à Santoshpur et que Binayak Sen avait dénoncé avant son arrestation. Les autorités l’ont maintenu en détention pendant sept mois sans inculpation ; la liberté sous caution lui a été refusée ; il a été détenu au secret pendant trois semaines en mars-avril 2008 ; de nombreux chefs d’accusation pesant contre lui s’appuient sur des lois ne respectant pas les normes internationales. Son procès, qui s’était ouvert le 30 avril, a été ajourné au 1er juillet.

L’épouse de Binayak Sen, Ilina Sen, qui l’a vu en prison la semaine dernière, a déclaré à Amnesty International qu’il semblait affaibli et souffrait de crises de goutte aiguës qui l’handicapait beaucoup dans ses activités quotidiennes. Il souffrait également de mictions fréquentes, témoignant d’un problème de la prostate. En dépit des appels lancés pour lui permettre de recevoir des soins médicaux appropriés comme le prévoit le règlement des prisons, aucune action concrète n’a été décidée en ce sens par le tribunal.

Binayak Sen a été inculpé au titre de l’article 8(1), 8(2) et 8(5)de la CSPSA, des articles 10(a)(i), 20, 21, 38 et 39 de la Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA) de 1967 et des articles 120(b), 121(a) et 124(a) du Code pénal indien. La CSPSA et l’UAPA définissent en termes vagues et très généraux ce que sont les « activités illégales » pour lesquelles des organisations peuvent être déclarées « illégales », par exemple le fait de tenir des «  propos... incitant à la désobéissance » de « la loi établie et de ses institutions ». De telles définitions permettent au gouvernement d’arrêter et de placer en détention des personnes, et de les sanctionner pour des infractions qui peuvent apparaître imprécises, en violation du principe de certitude en droit pénal, figurant à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Inde est État partie. Elles ont abouti à une restriction des activités pacifiques menées par la société civile et des personnes à titre individuel, en violation de droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et de réunion, inscrite dans la Constitution indienne et le droit international relatif aux droits humains.

Binayak Sen est accusé d’avoir servi de « messager » au leader du Parti communiste indien (maoïste), Narayan Sanyal ; il aurait transmis des lettres écrites en prison par Narayan Sanyal, dans le but d’aider les activités maoïstes, aurait aidé à lever des fonds pour les maoïstes et ouvert des comptes en banque pour eux. Les preuves directes présentées jusqu’à présent contre Binayak Sen dans cette affaire apparaissent plutôt minces. Ses visites à la prison étaient manifestement limitées au cadre professionnel ; il s’y rendait en tant que médecin autorisé par les autorités pénitentiaires à prodiguer des soins à Narayan Sanyal. Les principaux éléments à charge visant à contredire ce point sont des lettres de Narayan Sanyal, trouvées sur un maoïste, Piyush Guha, qui a été arrêté. Toutefois, Piyush Guha affirme aujourd’hui avoir été torturé par des policiers et que ces lettres n’avaient rien à voir avec Binayak Sen. Le droit international interdit strictement de considérer comme recevables des preuves obtenues sous la torture, dans quelque procédure que ce soit. La police n’a à ce jour produit aucune preuve à partir du matériel saisi chez Binayak Sen, notamment à partir du disque dur des ordinateurs saisis au domicile et à la clinique de Binayak Sen, affectant gravement le fonctionnement du service de cette dernière. La police n’a toujours pas rendu les disques en question dix mois après les avoir fait examiner par le Laboratoire scientifique médico-légal basé à Hyderabad, ce qui a fait naître des doutes sur de possibles manipulations dans le but de fabriquer de fausses preuves.

Avant le procès et pendant toute la procédure, l’accusation et la police ont tenté d’intimider Ilina Sen qui n’est pas accusée dans l’affaire. L’accusation a essayé de la dépeindre comme une « sympathisante maoïste ». Les fonctionnaires chargés de l’enquête ont laissé entendre aux médias qu’elle aussi était impliquée dans l’aide aux maoïstes. Chaque fois que Binayak Sen a comparu, une présence policière massive dans la salle a créé une atmosphère de peur et d’intimidation.

Avant le début du procès le 30 avril, le juge président le tribunal avait annoncé qu’un seul défenseur des droits humains pourrait assister à l’audience chaque fois, mais il est ensuite revenu sur sa décision et le procès s’est déroulé en public. Le 6 mai, la police de l’État a arrêté T.G.Ajay, défenseur des droits humains présent au procès de Binayak Sen, également au titre de la CSPSA. T. G. Ajay a réalisé un film sur le travail de Binayak Sen et sur son arrestation. Amnesty International a immédiatement demandé que T.G. Ajay soit libéré, ou inculpé d’une infraction dûment reconnue par la loi. (Inde. Inquiétude après l’arrestation dans le Chattisgarh de T.G .Ajay , cinéaste et défenseur des droits humains, Déclaration publique ASA 20/010/2008 du 14 mai 2008). Le président du PUCL du Chattisgarh, Rajendra Sali a fait savoir à Amnesty International que la police continuait de harceler et d’intimider les défenseurs des droits humains de l’État. Les militants observent actuellement un jeûne à Raipur pour protester contre l’incarcération de Binayak Sen et de T.G.Ajay.

Amnesty International appelle les autorités de l’Union et de l’État du Chattisgarh à veiller à ce que :

  Binayak Sen et T.G.Ajay bénéficient dans les meilleurs délais d’un procès équitable respectant les normes internationales d’équité des procès

  Binayak Sen ait accès à des soins médicaux appropriés

  les défenseurs des droits humains dans le Chattisgarh ne fassent pas l’objet d’actes de harcèlement ou d’intimidation et jouissent de tous les droits inscrits en droit international et que

  des mesures soient prises pour abroger les lois d’urgence, notamment la CSPSA et l’UAPA, ou pour les réformer de façon à les mettre en conformité avec les normes du droit international relatif aux droits humains.

En avril, l’Inde faisait partie du premier groupe de pays soumis à l’examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies dont l’Inde est membre. Au cours d’un dialogue de trois heures avec les autres États membres des Nations unies, l’Inde a assuré au groupe de travail de l’EPU que son pouvoir judiciaire veillait au respect des droits humains. Amnesty International demande instamment au gouvernement indien de traduire ses paroles en actes et de veiller à ce que soient pleinement respectés, de manière effective, les droits fondamentaux de Binayak Sen et de T.G.Ajay, notamment leur droit à un procès équitable conforme aux normes d’équité les plus exigeantes.

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