Le Rapport - Compte à rebours avant les jeux olympiques Les mesures de répression mettent en péril l’héritage olympique

Introduction

Alors qu’il reste à peine plus de quatre mois avant l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, la Chine n’a pas adopté de réforme susceptible d’améliorer de manière significative la situation des droits humains dans le pays. Ce constat paraît d’autant plus flagrant au vu des difficultés rencontrées par tous les militants et journalistes qui tentent courageusement de faire connaître les atteintes aux droits fondamentaux qui sont chose courante en Chine et demandent au gouvernement d’y remédier. Les mesures récemment prises par les autorités dans le but d’arrêter, de poursuivre et d’incarcérer tous ceux qui font connaître leurs préoccupations en matière de droits humains tendent à démontrer que les Jeux olympiques n’ont pour l’instant pas réussi à susciter les réformes espérées. À moins que les autorités chinoises ne réagissent dans les plus brefs délais pour rétablir la situation, la perspective d’obtenir à la suite des Jeux de Pékin un héritage positif en matière de droits fondamentaux semble de plus en plus compromise.

Il apparaît désormais clairement que la vague de répression actuelle des autorités chinoises intervient en grande partie non pas malgré les Jeux olympiques mais bien à cause de ceux-ci. Les défenseurs pacifiques des droits humains, comme tous ceux qui dénoncent publiquement la politique gouvernementale, ont été pris pour cible lors du « nettoyage » officiel effectué à l’approche des JO, manifestement afin de tenter d’offrir au monde une image « stable » et « harmonieuse » de la Chine d’ici au mois d’août 2008. Les déclarations récentes des autorités faisant état d’un complot « terroriste » visant les Jeux ont mis au premier plan d’éventuelles menaces relatives à la sécurité de la manifestation. Toutefois, l’absence d’éléments concrets corroborant ces affirmations ne fait qu’accroître les soupçons selon lesquels les autorités exagéreraient ces menaces afin de justifier leur actuel tour de vis.

Plusieurs militants pacifiques, dont ceux qui sont présentés dans cette série de rapports sur la situation des droits humains à l’approche des Jeux de Pékin, demeurent incarcérés ou placés sous étroite surveillance policière. Si certaines personnes ont bénéficié de remises en liberté, par ailleurs fortement médiatisées, de nombreuses autres ont passé les six derniers mois en prison pour avoir simplement adressé aux autorités des pétitions dans lesquelles elles leur demandaient d’examiner leurs revendications, ou pour avoir attiré l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits humains perpétrées aujourd’hui en Chine. Plusieurs des personnes incarcérées auraient été frappées ou soumises à d’autres formes de torture ou de mauvais traitements. Ceux qui ont fait la corrélation entre les responsabilités de la Chine en matière de droits fondamentaux et l’accueil des Jeux olympiques ont été parmi les plus sévèrement traités.

Les autorités continuent d’empêcher les journalistes étrangers d’effectuer des reportages sur les questions qu’elles jugent sensibles, malgré l’adoption l’an passé de nouvelles réglementations, censées accorder davantage de liberté à la presse pour couvrir les événements qui se produisent en Chine. Les journalistes chinois travaillent toujours sous l’étroite surveillance et la censure des autorités ; ceux qui publient des articles critiques à l’égard du gouvernement ou de la ligne de conduite officielle s’exposent à des poursuites et à des incarcérations. Au cours des derniers mois, de nouvelles mesures ont été adoptées afin d’accroître la mainmise des autorités sur Internet. Plusieurs sites web d’information sur le VIH/sida ont été pris pour cibles très récemment à Pékin. Les éléments recueillis portent à croire que le contrôle de l’information à Pékin s’étend désormais au système de messagerie par SMS.

Malgré les efforts entrepris de longue date pour obtenir une refonte substantielle ou une abolition de la « rééducation par le travail », le système demeure intact et permet toujours à la police pékinoise de vider les rues de la capitale des personnes jugées « indésirables ». Parmi les personnes visées dernièrement figuraient des militants et des signataires de pétitions, dont certains auraient été astreints à la rééducation par le travail après avoir été détenus à Pékin, puis renvoyés de force dans leur province natale. Les informations récentes faisant état d’arrestations massives de signataires de pétitions à Pékin laissent supposer que les autorités recourent à des méthodes de type « détention et rapatriement » ­­ – une pratique abusive de détention administrative dont l’abolition avait été présentée en 2003 comme une étape majeure de l’amélioration de la situation des droits humains.

Si les autorités ont indiqué que la réintroduction des possibilités de réexamen par la Cour populaire suprême (CPS) avait entraîné une diminution importante du nombre d’exécutions en 2007, elles ont omis de publier des statistiques nationales exhaustives ou d’autres données détaillées sur l’application de la peine de mort en Chine. Ces éléments sont pourtant indispensables pour permettre aux Chinois et aux observateurs étrangers indépendants d’évaluer de manière précise les répercussions des réexamens par la CPS et permettre à la société chinoise dans son ensemble de débattre de la question et de se forger une opinion éclairée sur la sentence capitale. Des informations récentes révèlent que le processus de réexamen connaît d’importantes difficultés, notamment un manque de clarté sur les procédures permettant aux avocats de saisir la Cour. Aucune mesure n’a été prise afin de diminuer la longue liste des crimes passibles de la peine capitale. La CPS a rendu récemment deux interprétations judiciaires (l’une concernant les dommages causés aux installations électriques, l’autre la production et la vente de faux médicaments) qui risquent de fait d’encourager les juridictions de premier degré à prononcer la peine de mort, même si le crime perpétré a eu des conséquences non meurtrières.

Il reste peu de temps aux autorités chinoises avant l’ouverture des Jeux pour choisir une nouvelle ligne de conduite fondée sur le respect des droits fondamentaux, en particulier des droits à la liberté d’expression et de circulation, des droits à la liberté et à la sécurité, qui s’appliquent à tous, y compris aux détracteurs de l’action gouvernementale. Il est essentiel que la communauté internationale, notamment les parties prenantes aux JO de Pékin, comme le Comité international olympique (CIO) et les dirigeants du monde entier qui assisteront aux Jeux, adoptent une attitude plus ferme face aux autorités chinoises afin de mettre un terme à ces atteintes aux droits humains.

Les militants réduits au silence au nom des Jeux olympiques

Les mesures de répression contre les militants des droits humains se sont renforcées depuis la publication, en août 2007, du dernier rapport d’Amnesty International sur la situation des droits fondamentaux à l’approche des Jeux [1]. Ceux qui tentent de faire le lien entre les violations des droits humains perpétrées actuellement en Chine et l’accueil des JO ont subi un traitement particulièrement sévère. Nombre de militants continuent toutefois de rendre leurs motifs de préoccupation publics malgré les risques encourus. D’après les informations recueillies, de très nombreux militants ont été arrêtés ou placés sous étroite surveillance policière à l’approche du 17e Congrès du parti communiste chinois qui s’est déroulé en octobre 2007, de toute évidence parce que le Congrès était « un rendez-vous très important » et qu’il fallait lui garantir un « environnement propice [2] ». La répression s’est également traduite par des coups de filet lancés par la police contre des signataires de pétitions, des vagabonds, des mendiants et d’autres personnes jugées « indésirables » à Pékin, selon un scénario qui s’est globalement poursuivi jusqu’au Congrès national du peuple organisé du 5 au 16 mars 2008 dans la capitale chinoise.

Outre les mesures prises à l’encontre des militants nationaux, des informations récentes révèlent que les autorités chinoises établissent actuellement des listes d’ONG et de militants étrangers dans le but d’empêcher les protestations et les manifestations pendant le déroulement des Jeux [3]. Le 1er novembre 2007, le ministre de la Sécurité publique a tenu une conférence de presse afin de faire savoir que toute personne souhaitant organiser un rassemblement, un défilé ou une manifestation lors des JO serait tenue de se conformer à la loi, notamment à l’obligation de solliciter une autorisation préalable [4]. Le 12 mars 2008, le maire adjoint de Pékin, Liu Jingmin, a confirmé ces dispositions en déclarant que quiconque prévoyait de manifester durant les Jeux devrait obtenir une autorisation de la part de la police et respecter les lois locales [5]. Comme l’atteste le cas de Ye Guozhu, la Chine ne délivre quasiment jamais d’autorisation de ce type, en particulier s’il s’agit de manifestations dénonçant l’action des pouvoirs publics ou tentant d’attirer l’attention sur les préoccupations relatives aux droits humains.

L’inquiétude au sujet des restrictions en matière de liberté d’expression s’est encore accrue au début de l’année 2008 lorsque certaines informations ont révélé que plusieurs Comités nationaux olympiques étaient sur le point d’ajouter des « clauses de réserve » aux contrats signés avec les athlètes participant aux Jeux olympiques de Pékin. Ces clauses auraient empêché les sportifs d’évoquer durant les Jeux les « sujets sensibles sur le plan politique », et éventuellement de s’élever contre les violations des droits humains. À la suite du tollé provoqué dans les médias britanniques, la British Olympic Association (BOA), qui se trouvait au cœur de la polémique, a finalement accepté de ne pas restreindre la liberté d’expression de ses athlètes [6]. La position des autres Comités nationaux olympiques demeure incertaine, bien que plusieurs aient indiqué de manière explicite que les athlètes seraient libres d’exprimer leurs opinions.

L’article 3 de la Règle 51 de la Charte olympique précise qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». Amnesty International estime que cette disposition ne doit pas servir de prétexte à restreindre les droits fondamentaux à liberté d’expression, d’association et de réunion de manière plus générale à Pékin, ou en Chine, à l’occasion des Jeux. Face à la controverse concernant les « clauses de réserve », l’organisation exhorte le CIO à faire une mise au point publique de son interprétation de cette disposition dans le contexte du droit à la liberté d’expression et à publier toutes les instructions qu’il a pu émettre à l’intention des Comités nationaux olympiques sur cette question.

La « sécurité » comme prétexte à la répression des militants pacifiques

Comme le relevaient les précédents rapports d’Amnesty International sur la situation des droits humains en Chine à l’approche des Jeux olympiques, les préparatifs des JO d’août 2008 se caractérisent par une obsession de l’« harmonie » et de la « stabilité [7] ». Au cours des derniers mois, les préoccupations des autorités pour les questions liées à la « sécurité » semblent être passées au premier plan. Le 9 mars 2008, les autorités chinoises ont affirmé avoir déjoué un complot « terroriste » visant les Jeux olympiques, dans lequel auraient été impliqués les « trois grands maux » que sont « les séparatistes, les terroristes et les extrémistes religieux » de la région autonome ouïghoure du Xinjiang [8]. Ces affirmations ont été faites à la suite d’une attaque lancée en janvier 2008 contre un « gang terroriste » du Xinjiang. Selon des sources officielles, la police aurait alors tué deux membres du groupe et en aurait arrêté 15 autres. On ignore pourquoi les autorités ont attendu deux mois avant de révéler le projet présumé d’attentat contre les JO. Jusqu’à présent, elles n’ont fourni aucune preuve concrète permettant d’étayer leurs affirmations [9].

Trois jours plus tard, le 12 mars 2008, le Beijing News indiquait que les autorités avaient constitué une « cellule de crise » de 25 avocats qui pourraient assurer une aide juridique dans le but de « réagir rapidement à tout événement imprévu » et de « maintenir la stabilité sociale » durant les manifestations sportives [10]. Ce même jour, Liu Jingmin, vice-président du Comité de candidature de Pékin aux Jeux olympiques de 2008, a annoncé que le Comité avait mis en place un « quartier général pour l’ensemble du pays », regroupant le ministère de la Sûreté de l’État, le ministère de la Sécurité publique et les forces armées, afin de garantir la sécurité des Jeux [11].

Amnesty International reconnaît que les États ont le devoir de prendre les mesures et les précautions adaptées en matière de sécurité pour faire face aux risques de terrorisme ou d’autres actes de violence. Toutefois, les autorités chinoises n’ont longtemps fait aucune distinction entre les actes pacifiques de dissidence, comme ceux en faveur de l’indépendance ou de l’autonomie culturelle, et les actes de violence présumés, en les plaçant tous dans la catégorie des atteintes à la sûreté de l’État. Les politiques répressives visant la population principalement musulmane de la région autonome ouïghoure du Xinjiang ont entraîné le placement en détention de nombreux militants pacifiques, y compris des intellectuels, des écrivains et des journalistes [12]. Des procédés analogues semblent avoir été déployés lors des actions de répression menées par les autorités à l’approche des Jeux olympiques : plusieurs journalistes et militants des droits humains pacifiques ont été inculpés de « subversion » et d’autres atteintes à la sûreté de l’État. Dans ce contexte, il est à craindre que les autorités n’exagèrent la menace « terroriste » dans l’objectif de justifier la fermeté de leur position en matière de sécurité à Pékin ou même de détourner l’attention de la communauté internationale de la répression qu’elles mènent aujourd’hui à l’encontre de manifestants pacifiques.

Les militants des droits humains arrêtés, poursuivis en justice et harcelés

L’arrestation officielle de Hu Jia le 27 décembre 2007 atteste du dispositif général de répression des militants mis en place par la Chine à l’approche des JO. Comme le précisaient les précédents rapports publiés par Amnesty International dans la perspective des Jeux, Hu Jia avait été assigné à résidence pendant la quasi-totalité de la période qui a suivi sa libération, le 28 mars 2006. La police n’a fourni aucun document officiel justifiant cette assignation. Ce militant des droits humains a été frappé à plusieurs reprises pour avoir tenté de quitter son domicile sans autorisation [13]. Hu Jia avait noué de nombreux contacts avec des journalistes étrangers, des agents d’ambassades et d’autres personnalités connues dans le monde entier. Son arrestation au lendemain de Noël semble avoir été programmée pour en minimiser les retentissements médiatiques à l’échelle internationale. La police l’a officiellement inculpé d’« incitation à la subversion » le 28 janvier 2008, chef d’accusation régulièrement invoqué pour réduire au silence et incarcérer les militants qui défendent pacifiquement leurs idées en Chine.

Hu Jia est actuellement incarcéré au centre de détention du bureau de la Sécurité publique (BSP) de Dougezhuang, dans le district de Chaoyan, à Pékin. Durant plusieurs semaines après son arrestation, il s’est vu refuser tout contact avec ses proches et avec ses avocats. Hu Jia souffre d’une maladie du foie liée à une infection par le virus de l’hépatite B et a besoin d’un traitement médical quotidien. À l’issue de sa première semaine de détention, la police l’a, semble ?t ?il, autorisé à prendre les médicaments apportés par sa famille. Le 4 janvier 2008, la police a rejeté la demande de visite de son avocat au motif que cette affaire semblait impliquer des « secrets d’État », soupçons qui n’avaient pas été formulés au moment du procès. Le 14 janvier 2008, l’avocat de Hu Jia a déposé une demande de mise en liberté sous caution pour raisons médicales. Cette requête a été officiellement rejetée par la police à la fin du mois.

À la suite, semble-t-il, des craintes sur son sort exprimées par la communauté internationale, Hu Jia a finalement été autorisé à entrer en contact avec des avocats ainsi qu’avec les membres de sa famille. Lors de leur première visite effectuée sous stricte surveillance policière, le 31 janvier 2008, sa famille a constaté avec inquiétude qu’il était très pâle et nerveux, s’exprimant comme s’il répétait un rôle. Il a par la suite déclaré à ses avocats qu’il avait été soumis à 47 reprises au cours des deux premiers mois de sa détention à de longues périodes d’interrogatoire, qui se déroulaient généralement de nuit et pouvaient durer de six à quatorze heures. S’il est à craindre qu’il ait été soumis à une pression psychologique considérable au cours de ces interrogatoires, il semble ne pas avoir subi de violences de la part des policiers.

La police a transmis son dossier au parquet le 19 février 2008 et l’affaire a été transférée au tribunal populaire intermédiaire n° 1 de Pékin le 10 mars 2008. Hu Jia a été jugé le 18 mars 2008 pour « incitation à la subversion » au titre de l’article 105 du droit pénal chinois. Sa mère a été autorisée à assister au procès, mais son épouse et son père se sont vu refuser l’accès au tribunal. Plusieurs associés de Hu Jia, parmi lesquels figuraient d’autres militants, n’auraient pas non plus été autorisés à suivre les débats ou auraient été contraints de quitter Pékin par la force au moment du procès.

D’après une source diplomatique, le 14 mars 2008, jour où la date du procès a été annoncée, huit représentants de gouvernements étrangers ont demandé à pouvoir y assister. On leur a répondu que tous les sièges avaient été « attribués » et qu’il ne restait plus de place. Le 18 mars 2008, matin même du procès, une réponse contradictoire leur a été faite puisqu’on leur a affirmé que les places avaient été « attribuées » aux personnes qui s’étaient présentées plus tôt ce jour-là. Selon les informations disponibles, une grande partie des places étaient occupées par des agents des services judiciaires et par des policiers.

Avant l’ouverture du procès de Hu Jia, ses avocats avaient déploré le fait de n’avoir pu disposer que d’une seule semaine pour avoir accès au dossier et préparer la défense [14]. Au cours du procès, qui a duré à peine plus de quatre heures, l’avocat de Hu Jia aurait eu moins de trente minutes pour présenter sa défense. Il aurait de plus été interrompu à maintes reprises par le juge. Le ministère public a brandi des articles écrits par Hu Jia à titre de « preuves » de ses « crimes ». Celui-ci a plaidé « non coupable » mais le procès s’est achevé sans qu’un jugement immédiat ne soit rendu.

Amnesty International considère le procès de Hu Jia comme inique et lié à des motifs politiques. L’organisation estime que ce militant des droits humains est un prisonnier d’opinion détenu au mépris de son droit fondamental à la liberté d’opinion et d’expression. Il doit être remis en liberté immédiatement et sans condition.

Cofondateur de l’Institut d’éducation sanitaire Aizhixing de Pékin, Hu Jia a dans un premier temps milité sur les questions liées au VIH/sida avant d’élargir son action au cours des dernières années à d’autres préoccupations en matière de droits humains. Malgré une « assignation à résidence » très contraignante, il a publiquement exprimé ses craintes face aux atteintes aux droits fondamentaux commises par la police dans le but de « nettoyer » Pékin avant les Jeux olympiques, notamment face aux arrestations de signataires de pétitions et de militants effectuées sans respecter les procédures légales. En septembre 2007, il a cosigné un article avec Teng Biao, un autre militant, dénonçant les violations des droits humains perpétrées à l’approche des JO (voir ci-dessous). En novembre 2007, Hu Jia est intervenu par webcam lors d’une audition devant le Parlement de l’Union européenne à Bruxelles ; il a alors déclaré que la Chine n’avait pas respecté sa promesse d’améliorer la situation des droits humains avant l’échéance des Jeux olympiques.

Hu Jia appartenait à un groupe de militants qui avaient été présentés dans de nombreux médias étrangers comme le symbole de l’évolution de l’attitude des autorités chinoises et de leur adoption d’une approche plus sensée. La tolérance d’une certaine forme de militantisme local, mené de pair avec des réseaux mondiaux de défense des droits humains, semblait avoir succédé aux arrestations immédiates et aux poursuites. Toutefois, l’arrestation officielle de Hu Jia en décembre 2007 visait incontestablement à mettre un terme à ses activités de divulgation et de dénonciation des violations des droits fondamentaux, souvent effectuées par le biais de contacts avec les médias et notamment avec des journalistes étrangers. Par cette arrestation, les autorités envoient aux autres militants chinois un message clair, destiné à les dissuader de mener des pratiques similaires. De telles manœuvres remettent fortement en question les engagements pris par la Chine d’améliorer son bilan en termes de droits humains et de veiller à une « totale liberté des médias » à l’approche des Jeux olympiques.

En septembre 2007, Hu Jia et son épouse Zeng Jinyan figuraient parmi les personnes citées pour l’obtention du Prix Sakharov de la liberté de pensée. Depuis l’arrestation de son mari, Zeng Jinyan est elle-même assignée à résidence avec leur bébé, une petite fille [15]. Elle ne peut quitter son domicile sans autorisation et sa ligne téléphonique ainsi que sa connexion Internet ont été coupées. Le 2 janvier 2008, plusieurs dizaines de membres de la police du district et de la municipalité ont encerclé leur domicile, avec plus d’une dizaine de véhicules, afin d’empêcher Zeng Jinyan de recevoir d’éventuels visiteurs. D’après les informations disponibles, le mois suivant, le nombre de policiers en faction atteignait la cinquantaine ; certains s’étaient même installés dans l’appartement situé directement au-dessus de celui de Zeng Jinyan pour effectuer leur surveillance [16].

Parmi les affaires soulevées par Hu Jia lors de ses entretiens avec les médias figurait celle de Yang Chunlin, militant pour le droit à la terre interpellé par la police le 6 juillet 2007 après avoir lancé une campagne de pétitions sous le mot d’ordre « Nous ne voulons pas des Jeux olympiques, nous voulons des droits humains [17] ». Détenu au poste de police de Heitong, à Jiamusi, dans la province de Heilongjiang, Yang Chunlin a été officiellement inculpé d’« incitation à la subversion » le 3 août 2007. Il s’est écoulé plusieurs semaines avant qu’il puisse consulter un avocat, car son affaire impliquait apparemment des « secrets d’État » bien que ces accusations n’aient jamais été portées contre lui lors du procès. D’après les informations recueillies, Yang Chunlin aurait été torturé au cours de sa détention au poste de police. Durant six jours au début du mois d’août, puis durant une journée en septembre 2007, il a eu les bras et les jambes étirés et enchaînés aux quatre coins d’un lit en métal de façon à ce qu’il ne puisse plus bouger. Il a dû manger, boire et faire ses besoins dans cette position. Il aurait été contraint de regarder d’autres détenus subir le même sort, puis de nettoyer leurs excréments. Yang Chunlin a été jugé le 19 février 2008 par le tribunal populaire intermédiaire de Jiamusi, mais n’a pas eu la possibilité de faire état des allégations de torture devant le tribunal. Il a comparu les pieds enchaînés à sa chaise et a plaidé non coupable aux accusations de subversion. Le 24 mars 2008, le tribunal a prononcé son jugement et l’a reconnu coupable d’« incitation à la subversion ». Yang Chunlin a été condamné à cinq années d’emprisonnement. D’après les informations recueillies, les agents de police du tribunal l’ont frappé à plusieurs reprises à coups de matraque électrique lorsqu’il a tenté de parler aux membres de sa famille qui assistaient à l’audience sur la détermination de la peine.

Les avocats défenseurs des droits humains victimes de détention arbitraire et de violences

Hu Jia a également fait part aux médias et à d’autres entités du sort peu enviable de l’avocat et défenseur des droits humains Gao Zhisheng, qui purge toujours sa peine de trois années d’assignation à résidence à Pékin après avoir été reconnu coupable d’« incitation à la subversion » en décembre 2006. Le 22 septembre 2007, dix hommes au moins, peut-être des policiers en civil, l’ont appréhendé chez lui pour le conduire dans un lieu inconnu [18]. Cette arrestation semblait liée à la lettre ouverte adressée par Gao Zhisheng au Congrès américain pour lui demander de dénoncer ce qu’il appelait « le bilan désastreux de la Chine en matière de droits humains » et s’élever contre l’obtention des Jeux par le pays. Les hommes qui l’ont emmené lui auraient donné des coups de poing et de pied. Aucun autre élément n’a filtré sur sa situation jusqu’à ce que, le 28 octobre 2007, il téléphone – manifestement sous la contrainte – à Hu Jia, à qui il a indiqué avoir été emmené dans les provinces du Shaanxi et du Shanxi. Il a également demandé à Hu Jia de ne pas chercher à rendre visite à sa famille. Amnesty International craint vivement que Gao Zhisheng n’ait été soumis à la torture ou à des mauvais traitements par les hommes qui l’ont enlevé. Selon certaines sources, il a été reconduit à son domicile au début du mois de novembre mais demeurait sous étroite surveillance. Aucune autre information ne nous est parvenue sur son sort. L’organisation demeure fortement préoccupée par les conditions de vie et par la sécurité de Gao Zhisheng.

Gao Zhisheng figure parmi un certain nombre d’avocats qui sont devenus l’une des principales cibles de la répression en raison de l’importance de leur action en faveur des droits humains :

Teng Biao, avocat, universitaire et militant des droits humains, a disparu le jeudi 6 mars 2008. Selon des témoins, un groupe d’inconnus l’aurait poussé de force dans un véhicule de couleur noire juste après son arrivée à son domicile, vers 20 h 30. Il a été remis en liberté deux jours plus tard, à la suite de l’expression des vives inquiétudes de la communauté internationale [19]. Il a indiqué avoir été enlevé par quatre hommes qui n’ont présenté aucune pièce d’identité, mais ont affirmé être des agents du bureau de la Sécurité publique (BSP) de Pékin. Ils ont recouvert la tête de Teng Biao d’un sac et l’ont conduit vers un lieu inconnu. Il a vraisemblablement été interrogé sur les articles qu’il avait rédigés, notamment sur un texte coécrit avec Hu Jia et intitulé "The real China and the Olympics" (Les Jeux olympiques et la vraie situation en Chine [20]). Il a ajouté ne pas avoir subi de violences lors de sa détention. Teng Biao n’a pas pu fournir de renseignements supplémentaires car il a reçu l’avertissement de ne pas s’entretenir avec des journalistes étrangers.

Le 7 mars 2008, vers 7 h 20, à Pékin, le véhicule de Li Heping a été embouti par une voiture de police alors que cet avocat spécialisé dans les droits humains conduisait son fils à l’école. Son fils et lui ont été choqués par l’accident, mais n’ont pas subi de traumatisme grave. Le véhicule de police les suivait depuis leur départ de leur domicile et a, semble-t-il, accéléré avant l’accident qui a endommagé l’arrière de la voiture de l’avocat. Li Heping a reconnu dans la voiture trois policiers de son district. Il affirme que le conducteur du véhicule l’a ignoré lorsqu’il l’a interpellé au sujet de l’accident, et que la police de la circulation a refusé de s’occuper de cette affaire quand il a voulu signaler l’accident plus tard dans la journée.

Le 29 septembre 2007, Li Heping avait été enlevé par des hommes non identifiés, frappé à coups de matraques électriques et menacé d’agressions ultérieures s’il ne quittait pas Pékin. Il avait été libéré environ huit heures plus tard. Cet enlèvement s’était produit peu après que la police ait ordonné à Li Heping de quitter Pékin pendant le 17e Congrès du Parti communiste, qui devait se dérouler en octobre 2007 [21].

Li Heping s’est bâti une réputation en défendant des prévenus dans des affaires délicates, notamment des chrétiens arrêtés pour avoir mené des activités religieuses dans un lieu non reconnu par les autorités, des membres du mouvement spirituel interdit Fa Lun Gong, des victimes présumées d’expulsions forcées et des écrivains indépendants. Il a également lancé des appels aux autorités en faveur de son confrère Gao Zhisheng. Ces activités lui ont valu d’être surveillé de près par la police et sa liberté de mouvement a été restreinte.

Zheng Enchong, avocat à Shanghaï, est connu pour avoir représenté des familles expulsées à la suite des travaux de rénovation menés dans la ville ; il continue de subir de graves atteintes aux droits humains depuis sa libération de prison le 5 juin 2006 [22]. Le 24 juillet 2007, il a été frappé en public par un groupe d’environ six policiers devant le tribunal populaire supérieur de la municipalité de Shanghai après que sa femme, Jiang Meili, et lui aient tenté de s’inscrire sur la liste des personnes autorisées à assister au procès de Zhou Zhengyi, promoteur immobilier de la région. Il est depuis maintenu sous étroite surveillance. Lorsqu’il a tenté de quitter son domicile, il s’est vu barrer la route et a été frappé à plusieurs reprises. La police l’a plusieurs fois convoqué à des fins d’interrogatoire au sujet de l’assistance juridique qu’il avait apportée aux signataires de pétitions et des entretiens qu’il avait accordés aux médias, et au sujet d’allégations de fraude fiscale. Le 20 février 2008, il aurait été frappé par un inconnu alors qu’on l’interrogeait au cours d’une garde à vue. Les coups qui lui ont été portés auraient provoqué de nombreuses blessures et des saignements.

Les militants du droit au logement arrêtés et emprisonnés

Militant pékinois en faveur du droit au logement, Ye Guozhu continue de purger une peine de quatre années de prison après avoir sollicité l’autorisation d’organiser une manifestation contre les expulsions forcées à Pékin. Amnesty International demande toujours sa libération immédiate et sans condition et demeure inquiète pour sa sécurité en raison d’informations indiquant que Ye Guozhu aurait été torturé en prison. Les autorités chinoises n’ont ni confirmé ni démenti ces allégations. Des sources officielles ont toutefois indiqué qu’il était soigné pour « hypertension ». Elles ont également confirmé que Ye Guozhu était détenu à la prison de Chaobai et devait être libéré le 26 juillet 2008.

Ye Mingjun et Ye Guoqiang, fils et frère de Ye Guozhu, ont été arrêtés le 29 septembre 2007, car on les soupçonnait d’« incitation à la subversion » après leur participation à une manifestation publique dénonçant les expulsions forcées menées soi-disant en vue de dégager des terrains pour les Jeux olympiques. La police a également perquisitionné le domicile de Ye Guoqiang, a saisi 26 textes qu’il avait rédigés ainsi que deux ordinateurs. Ye Mingjun a été libéré sous caution le 30 octobre 2007 mais a été fermement invité à ne pas parler aux médias faute de quoi son père et lui risquaient d’en « pâtir ». Ye Guoqiang a été libéré sous caution le 9 janvier 2008, à la condition qu’il ne contacte personne à l’étranger et qu’il cesse ses pétitions.

Wang Ling, associée de Ye Guozhu qui avait également pris part à des actions publiques après la perte de son logement dans le cadre des projets de construction de sites olympiques, a récemment été astreinte à quinze mois de « rééducation par le travail ». [Voir ci-dessous pour plus d’informations]

Un recours accru aux poursuites pénales à caractère politique

Comme en témoignent les affaires déjà mentionnées, un nombre croissant de militants pacifiques sont pris pour cible, arrêtés et poursuivis parce qu’ils sont soupçonnés d’atteintes à la sûreté de l’État, notamment de « divulgation de secrets d’État » ou d’« incitation à la subversion ». D’après une analyse des données du China Law Yearbook menée par la fondation Dui Hua, basée aux États-Unis, le nombre d’affaires de ce type traitées par les tribunaux chinois en 2006 a augmenté de près de 20 p. cent par rapport à l’année précédente et les arrestations pour atteinte à la sûreté de l’État ont atteint en 2007 leur niveau le plus élevé depuis huit ans [23]. Amnesty International estime que le recours permanent à des poursuites à caractère politique contre les défenseurs pacifiques de droits humains va à l’encontre des engagements pris par les autorités d’améliorer la situation des droits humains en Chine à l’approche des Jeux olympiques.

Dans d’autres affaires, des militants ont été inculpés d’infractions « ordinaires » dans le cadre de poursuites qui présentaient néanmoins des motivations politiques. C’est notamment le cas de Chen Guangcheng, conseiller juridique atteint de cécité, qui purge une peine de quatre ans et trois mois d’emprisonnement pour « dégradation de biens et obstruction des voies de circulation » à Linyi, dans la province du Shandong. Le véritable motif de sa condamnation était lié à sa tentative de poursuite en justice des autorités locales pour une campagne de stérilisation et d’avortements forcés qui a touché des milliers de femmes dans la région. Dans sa dernière mise à jour du mois d’août 2007, Amnesty International indiquait que, le 16 juin 2007, Chen Guangcheng avait été violemment frappé et roué de coups de pieds par des codétenus sur ordre des gardiens de la prison parce qu’il avait refusé de se laisser raser le crâne. Des sources officielles ont toutefois affirmé depuis qu’il était « en bonne santé et bien traité ». Elles ont confirmé qu’il purgeait sa peine dans la prison de Linyi, dans le Shandong, mais n’ont ni confirmé ni démenti les allégations de torture.

L’épouse de Chen Guangcheng, Yuan Weijing, demeure soumise à une surveillance policière sévère : deux équipes composées de sept policiers se relaient pour surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre son domicile à Linyi. Le 24 août 2007, à l’aéroport international de Pékin, elle a été interpellée par la police qui l’a empêchée de se rendre aux Philippines où elle devait recevoir au nom de son mari le prix Ramon Magsaysay 2007 dans la catégorie des jeunes leaders. En octobre 2007, six policiers lui ont barré le passage alors qu’elle essayait de monter dans un bus avec sa fille, une enfant de trois ans, pour gagner la ville voisine de Linyi où elle souhaitait se faire soigner les dents : « J’ai mal aux dents mais ils ne veulent pas me laisser voir un dentiste… Je souffre terriblement et je ne peux pas forcer le passage. Je ne suis qu’une femme seule avec un enfant, et j’ai sept hommes contre moi [24]. » En janvier 2008, des fonctionnaires locaux ont empêché Yuan Weijing de rencontrer une équipe de télévision allemande qui souhaitait l’interviewer. Une bonne dizaine d’inconnus en civil auraient eu une attitude menaçante, montrant aux journalistes les pierres qu’ils tenaient dans leurs mains. [25]

Bien qu’elle subisse un harcèlement permanent, Yuan Weijing continue d’agir sans relâche pour le compte de son mari. Dans une lettre en date du 28 juillet 2007, elle adressait ses remerciements aux membres d’Amnesty International pour les centaines de cartes de solidarité qu’elle a reçues. Elle précisait que son époux avait été très heureux d’apprendre par elle l’existence de ces courriers, mais qu’il n’avait pas reçu, quant à lui, une seule lettre en prison. Elle craignait qu’il ne développe des troubles psychologiques liés à l’impossibilité de lire ou d’écrire. Il n’était pas autorisé, selon elle, à recevoir des livres en braille ni à obtenir un stylet permettant d’écrire dans cet alphabet ; elle avait demandé à procurer une radio à son mari, mais les autorités avaient rejeté sa requête.

Si les avocats et les conseillers juridiques qui défendent des affaires délicates demeurent en butte à la répression, le projet de modification de la Loi relative aux avocats adopté en octobre 2007 par le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale est destiné, selon toute apparence, à améliorer la possibilité pour les avocats de rencontrer leurs clients et de recueillir des éléments concernant les affaires dont ils se chargent. La loi modifiée leur permet entre autres de rencontrer les personnes soupçonnées d’infractions pénales après l’interrogatoire initial de la police (sauf dans les affaires impliquant des « secrets d’État ») et de ne pas être surveillés lors des entrevues avec leurs clients. Elle précise également que les remarques faites par les avocats devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à des poursuites, à condition qu’elles ne « menacent pas la sûreté nationale ni ne constituent une diffamation ». [26]

Plusieurs avocats chinois ont considéré que ces modifications de la loi représentaient un pas dans la bonne direction, mais certains ont noté avec inquiétude qu’elles ne répondaient toujours pas aux normes internationales en matière d’équité des procès ; en particulier, la présence d’un avocat à tous les entretiens n’était toujours pas autorisée. D’autres ont constaté des contradictions entre la Loi relative aux avocats et d’autres dispositions, notamment l’article 96 de la Loi de procédure pénale qui autorise la police à assister à toutes les rencontres entre un avocat et son client. [27]

La censure et les actes d’obstruction enfreignent l’engagement de « liberté totale des médias » pris par la Chine à l’occasion des Jeux

Malgré quelques libérations de journalistes fortement médiatisées au cours des derniers mois, dont celles de Zhao Yan, documentaliste au New York Times libéré le 15 septembre 2007, et de Ching Cheong, journaliste de Hong Kong libéré le 5 février 2008, d’autres journalistes demeurent incarcérés et font l’objet de poursuites à caractère politique. Les autorités ont renforcé leur mainmise sur les médias.

Zhao Yan a recouvré la liberté après avoir purgé une peine de trois ans de réclusion pour fraude à l’issue d’un procès inique et de poursuites qui avaient manifestement des motivations politiques. Les autorités n’ont pas précisé les motifs de la libération conditionnelle anticipée de Ching Cheong, mais elle est intervenue à la suite des vives protestations de l’opinion publique – en particulier à Hong Kong – face au traitement qui lui avait été réservé. Sa remise en liberté a eu lieu à la veille du Nouvel An chinois et semblait avoir pour objectif d’améliorer la cote de popularité de Pékin à Hong Kong à l’approche des Jeux. Condamné pour espionnage pour le compte de Taiwan, Ching Cheong affirmait avoir subi des pressions psychologiques au cours de sa détention par la police et précisait avoir à plusieurs reprises envisagé de se suicider. [28]

Amnesty International constate avec une vive inquiétude que, malgré l’engagement officiel pris par la Chine en juillet 2001, peu après l’obtention des Jeux olympiques, d’assurer une « liberté totale des médias », les autorités invoquent toujours l’« incitation à la subversion » et d’autres atteintes à la sûreté de l’État pour poursuivre et incarcérer des écrivains et des journalistes exerçant leurs droits fondamentaux à la liberté d’expression. Ainsi :

Le 5 février 2008, jour de la remise en liberté de Ching Cheong, un autre écrivain, Lü Gengsong, a été condamné à quatre années d’emprisonnement pour « incitation à subversion » par le tribunal populaire intermédiaire de la ville de Hangzhou à l’issue d’un procès à huis clos. Sa condamnation était liée à des essais ou articles qu’il avait diffusés sur Internet et qui dénonçaient la corruption au sein des pouvoirs publics et les expulsions forcées, ainsi qu’à des livres dont il était l’auteur demandant la réforme politique. Lü Gengsong est actuellement incarcéré au centre de détention de Xihu, à Hangzhou (province du Zhejiang). Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion et demande sa libération immédiate et sans condition.

Auteur de textes publiés sur Internet, Wang Dejia (pseudonyme : Jing Chu), originaire de la ville de Guilin, dans la région autonome zhuang du Guangxi, a été arrêté le 14 décembre 2007 parce qu’il était soupçonné d’« incitation à la subversion ». Son interpellation semblait être en rapport avec différents articles qu’il avait écrits sur des questions politiques et relatives aux droits humains, dont des essais intitulés : « Détention illégale de secrets d’État – une invention essentielle du Parti communiste chinois pour persécuter les prisonniers d’opinion » et « Des Jeux olympiques menottes aux poignets n’apporteront que le malheur à la population ». [29] Contrairement à la plupart des personnes arrêtées pour des motifs aussi graves, Wang Dejia a été libéré sous caution un mois plus tard, à la condition qu’il ne publie pas d’autres articles ni n’accorde d’entretiens à des journalistes étrangers. Amnesty International estime que ces conditions constituent une violation de son droit à la liberté d’expression et transgressent l’esprit des dispositions adoptées l’an passé afin d’accroître la liberté offerte aux journalistes étrangers de mener des entretiens en Chine à l’approche des Jeux olympiques.

Shi Tao est toujours en prison, où il purge une peine de dix ans pour avoir résumé, dans un courriel, un communiqué du Département central de propagande sur la manière dont les journalistes devraient traiter le 15e anniversaire de la répression du mouvement démocratique de 1989. À la fin du mois de juin 2007, il a été transféré à la prison de Deshan, à Changde (province du Hunan), où ses conditions de détention se seraient nettement améliorées. Il est désormais autorisé à recevoir des visites régulières de sa mère, Gao Qinsheng. Ils peuvent se tenir les mains, car ils ne sont plus séparés par une vitre. La Cour populaire suprême aurait accepté la demande de réexamen de son dossier déposée par Gao Qinsheng, mais n’a pas donné d’autre suite à ce jour. Amnesty International se réjouit des signes d’amélioration de la situation de Shi Tao, mais exhorte toujours les autorités à le remettre en liberté immédiatement et sans condition.

En novembre 2007, la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants du Congrès américain a reproché à la société Yahoo ! d’avoir témoigné sous serment devant le Congrès qu’elle ne connaissait pas la nature de l’enquête menée sur Shi Tao lorsqu’elle a transmis aux autorités chinoises les informations relatives à son compte d’utilisateur. [30] Jerry Yang, PDG de Yahoo !, a présenté ses excuses à la Commission et aux membres de la famille de Shi Tao, notamment à Gao Qinsheng qui se trouvait dans l’assistance. Plus tard au mois de novembre, Yahoo ! a versé une somme d’un montant resté confidentiel en règlement d’une transaction judiciaire qui concluait un procès intenté aux États-Unis sur le rôle de la société dans l’incarcération de Shi Tao et d’un autre journaliste chinois, Wang Xiaoning. En février 2008, Jerry Yang aurait écrit à la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice avant que celle-ci ne se rende en Chine pour lui indiquer qu’il « regrett[ait] amèrement les circonstances » ayant conduit à l’emprisonnement des deux journalistes et que celles-ci allaient à l’encontre des valeurs de l’entreprise. Il a demandé au Département d’État américain de « tout mettre en œuvre pour obtenir la libération de Shi Tao, de Wang Xiaoning et d’autres dissidents chinois qui ont été incarcérés pour avoir exercé leur droit universellement reconnu à la liberté d’expression ». [31]

Yang Tongyan (pseudonyme : Yang Tianshui), auteur indépendant, continue de purger une peine de douze années de prison pour « subversion » en rapport avec plusieurs chefs d’inculpation, parmi lesquels figurent des écrits en faveur d’une réforme politique et démocratique en Chine. En 2007, il aurait été contraint de fabriquer des ballons de football et de basket-ball dans un milieu de travail manifestement toxique durant huit à dix heures par jour. En fin d’année, il a été affecté à des tâches moins pénibles, étant employé comme bibliothécaire de la prison. D’après les informations disponibles, son état de santé s’est détérioré depuis son placement en détention et il souffre à présent de diabète, d’arthrite et d’hypertension. Des sources officielles ont confirmé qu’il était incarcéré à la prison municipale de Nanjing, dans la province du Jiangsu, et pourrait être libéré le 22 décembre 2017.

Huang Jinqiu (pseudonyme : Qing Shuijun), écrivain et journaliste, purge toujours une peine de douze années de réclusion pour « subversion » dans la prison de Pukou, près de Nanjing (province du Jiangsu). Il a été condamné en septembre 2004 en raison de ses écrits politiques sur Internet. Il envisageait notamment de créer un parti démocratique et patriotique. En avril 2007, Amnesty International a fait état d’une amélioration probable de ses conditions de détention [32]. Depuis cette date, l’organisation n’a plus obtenu d’information sur son sort.

En novembre 2007, les médias nationaux ont indiqué que la Chine avait emprunté « avec prudence mais détermination la voie menant à la liberté des médias [33]. » Publié à l’occasion de la Journée de la presse en Chine (8 novembre), ce rapport citait plusieurs spécialistes et représentants des médias chinois qui laissaient à penser que la Chine se dirigeait progressivement vers une plus grande ouverture malgré quelques « difficultés ». L’un des spécialistes a ainsi observé avec franchise : « la Chine est restée très discrète sur l’ouverture de ses médias car elle considère ce point comme relevant de la sûreté de l’État [34]. » Au cours d’une conférence de presse organisée le 4 décembre 2007, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a souligné que les journalistes étrangers étaient les bienvenus « en Chine pour couvrir les Jeux de manière juste et objective [35]. » Plus tard au cours du même mois, un autre représentant de l’État, Cai Wu, ministre du Bureau de l’information du Conseil des affaires d’État, a déclaré que la Chine maintiendrait certainement les nouvelles dispositions relatives aux journalistes étrangers une fois les JO achevés car elles se sont montrées « bien appliquées et efficaces [36] ».

Amnesty International s’inquiète toutefois de ce que ces réglementations continuent fréquemment d’être bafouées dans les faits. Le Club des correspondants étrangers en Chine (FCCC) a fait état de plus de 180 violations de ces textes au cours de l’année 2007, dont des actes d’obstruction qui dans plusieurs cas s’apparentaient à des attaques et des détentions arbitraires [37]. Parmi ces cas figuraient les journalistes suivants :

En septembre 2007, le correspondant de l’agence Reuters, Chris Buckley, a été jeté au sol et a reçu des coups de pied dans le dos et des coups de poing infligés par plus d’une dizaine d’inconnus alors qu’il enquêtait sur un centre de détention clandestin de Pékin. Ce centre renfermait des signataires de pétitions et était dirigé par des fonctionnaires de la province du Henan. Ses agresseurs lui ont volé son sac, ses carnets, son téléphone mobile et son appareil photo, et l’un d’eux l’a menacé de mort. L’intervention de représentants du ministère des Affaires étrangères a mis fin à l’épisode. Chris Buckley a déposé une plainte, mais la police n’a manifestement rien fait pour poursuivre ses assaillants en justice.

Plus tard en septembre, une équipe de tournage de la chaîne britannique Channel 4 a été attaquée par des inconnus alors qu’elle interrogeait des signataires de pétitions incarcérés dans ce même centre de détention. La police a mis fin aux violences mais a ensuite retenu deux des reporters, Andrew Carter et Aidan Hartley, durant six heures. Ils ont recouvré la liberté après avoir détruit un enregistrement. Leur collègue chinois, Dean Peng, a été détenu durant dix heures et accusé d’avoir perturbé « l’ordre administratif » du centre.

En octobre 2007, la police pékinoise a empêché une journaliste finlandaise, Katri Makkonen, et l’un de ses collègues de filmer des signataires de pétitions dans le district de Fengtai, à Pékin. Ils ont ensuite été suivis par la police qui les a empêchés de filmer la place Tiananmen. Sur les deux sites, des policiers ont demandé à maintes reprises aux journalistes de présenter leurs pièces d’identité dans le but évident de les empêcher de travailler.

En novembre 2007, une correspondante de la télévision suisse, Barbara Lüthi, et sa cadreuse et assistante chinoise ont été frappées et détenues durant plusieurs heures après s’être rendues dans le village de Shengyou, dans le canton de Dingzhou (province du Hebei) afin d’interroger des villageois mêlés à un litige foncier. L’un de leurs enregistrements a été effacé par les autorités.

Outre les cas d’obstruction directe, Amnesty International considère que les avertissements, les menaces ou les agressions dont s’est rendue coupable la police afin d’empêcher les militants chinois de s’entretenir avec les médias étrangers transgressent l’esprit des dispositions adoptées par la Chine. Au nombre des militants qui ont subi des actes d’obstruction figurent plusieurs de ceux déjà mentionnés dans ce rapport, notamment Teng Biao, Ye Mingjun, Yuan Weijing et Zeng Jinyan.

Renforcement de la censure d’Internet et des SMS

D’après les statistiques officielles, la Chine comptait quelque 210 millions d’utilisateurs d’Internet fin 2007 et les Chinois étaient en passe, début 2008, de devenir la première population d’internautes au monde [38]. Depuis le 1er septembre 2007, la plupart de ces internautes ont toutes les chances de tomber sur deux icônes représentant des policiers, qui apparaîtraient désormais toutes les trente minutes sur tous les sites hébergés par des serveurs basés à Pékin [39]. L’objectif de ces « policiers virtuels », qui avertissent les internautes de ne pas se rendre sur des sites « illégaux », semble être d’encourager l’autocensure en rappelant aux utilisateurs que les autorités surveillent de près les activités sur la toile [40].

Les contrôles d’Internet restent très courants, et de nombreux sites ont été fermés ces derniers mois. Plusieurs de ces fermetures ont eu lieu à l’approche du 17e Congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2007, dans une nouvelle volonté de lutter contre les « fausses nouvelles » et de s’assurer que le Congrès serait couvert de façon positive [41]. Cette vague de répression a pris une tournure sans précédent avec la fermeture de centres de données Internet entiers à partir du moment où ils hébergeaient un seul site jugé offensant par les autorités, alors que ces centres hébergent souvent plusieurs serveurs à la fois.

Début 2008, les groupes de Pékin travaillant sur le VIH/sida ont à leur tour été visés par la répression. Ainsi, le 26 février 2008, les autorités de Pékin ont fermé deux sites d’information sur le sida dirigés par des militants dans ce domaine : www.aidsmuseum.net et www.aidswiki.cn. Le mois suivant, le 5 mars, l’Institut d’éducation sanitaire Aizhixing a reçu l’ordre de supprimer de son site des « informations illégales » (sans que l’on sache précisément lesquelles), et ce site a été temporairement fermé. Certains pensent que les informations en question portaient sur Hu Jia, qui avait cofondé cet Institut dans le cadre de son travail militant sur les questions liées au VIH/sida.

Le 1er février 2008, le groupe Chinese Human Rights Defenders (CHRD) et l’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières ont divulgué, après se l’être procurée, une directive officielle destinée à empêcher la diffusion du rapport sur la censure d’Internet en Chine qu’ils avaient publié en octobre 2007 [42]. Ces deux organisations ont affirmé que, quelques heures après la publication de leur rapport, Yan Le, directeur du Bureau de l’information de Pékin, avait ordonné aux sites et aux fournisseurs d’accès de mettre à jour leur liste de mots clés interdits en y ajoutant une trentaine d’expressions contenues dans ce rapport.

Par ailleurs, le rôle des sociétés mondiales du secteur de l’Internet dans la censure en Chine fait de nouveau l’objet de toutes les attentions depuis quelques mois. Outre les préoccupations relatives au rôle de Yahoo ! dans les affaires Shi Tao et Wang Xiaoning décrites ci-dessus, il a été signalé, le 1er février 2008, que l’ancien professeur d’université et militant prodémocratique Guo Quan avait décidé de poursuivre Yahoo ! et Google pour avoir supprimé son nom des résultats de recherche en Chine. Cette affaire pose la question de la politique de censure de Google en Chine. En effet, cette société s’est engagée, lorsqu’elle censure des résultats de recherche, à en informer les utilisateurs en annonçant explicitement que certains résultats ont été supprimés « conformément aux lois, aux règles et aux politiques locales ». Or, selon le Financial Times, le seul message qui est apparu lors d’une recherche locale, le 1er février 2008, du nom de Guo Quan sur www.google.cn a été le suivant : « Les informations que vous recherchez ne sont pas disponibles. Veuillez retourner chercher d’autres informations sur google.cn [43] ».

Ces derniers mois, dans leur volonté d’intensifier les contrôles sur l’information, les autorités se sont aussi intéressées à d’autres médias. Ainsi, le 17 décembre 2007, les autorités municipales de Pékin ont publié une note destinée, semble-t-il, à limiter l’utilisation des SMS pour diffuser des informations [44]. Cette note dispose, en termes assez vagues, que toute personne utilisant des SMS pour « menacer la sécurité publique » ou « diffuser des rumeurs » sera poursuivie, mais sans préciser la teneur exacte de ces « infractions ». Amnesty International craint que ces dispositions ne soient utilisées pour limiter la liberté d’expression des utilisateurs de téléphones mobiles à Pékin.

Utilisation de la « rééducation par le travail » pour réduire les militants au silence à l’approche des Jeux olympiques

En octobre 2007, Amnesty International a écrit une lettre ouverte au Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale pour lui demander de veiller à ce que toute loi adoptée pour remplacer la « rééducation par le travail » respecte pleinement les normes internationales, notamment le droit à un procès équitable [45]. Cette initiative faisait suite à des informations parues dans les médias chinois selon lesquelles le Comité permanent devait étudier un projet de loi en ce sens lors de sa session d’octobre. En décembre 2007, 69 universitaires chinois célèbres, dont l’économiste Mao Yushi et le professeur de droit He Weifang, ont aussi écrit à l’Assemblée populaire nationale pour lui demander l’abolition de la « rééducation par le travail ». Le professeur Mao aurait déclaré que ce système était par nature imparfait puisqu’il entraînait « des condamnations injustifiées en raison du manque de justice dû à l’absence de représentation par un avocat [46] ».

Cependant, on ne sait même pas si la réforme de ce système de détention a effectivement été débattue et, à ce jour, aucune nouvelle loi n’a été adoptée pour le remplacer. Le 13 mars 2008, un représentant du Comité législatif national, Teng Wei, a confirmé qu’un délai supplémentaire était nécessaire pour étudier différents points relatifs à la « rééducation par le travail » et à la nouvelle loi [47], parmi lesquels, semble-t-il, le champ d’application de la « rééducation par le travail », la procédure d’examen et d’approbation, et les conditions et les méthodes de détention. Il n’a donné aucune indication sur la date à laquelle cette question serait remise à l’ordre du jour, précisant que cela dépendrait du programme du nouveau Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale.

En attendant, ce système abusif de détention sans procès reste l’un des outils utilisés par la police de Pékin pour « nettoyer » la ville à l’approche des Jeux olympiques. Ces mesures de « nettoyage » se sont intensifiées ces derniers mois. Par exemple, en janvier 2008, les médias chinois ont parlé d’une nouvelle campagne de répression policière destinée à « éradiquer les activités illégales de la place Tiananmen et des abords de l’avenue Chang’an en vue des Jeux olympiques [48] ». L’objectif de cette campagne était de « supprimer les activités illégales qui ternissent l’image de la ville et troublent l’ordre social [49] ». Elle a visé principalement les mendiants, les revendeurs à la sauvette, les distributeurs de prospectus et les taxis illégaux, à qui des peines d’amende et de détention ont pu être infligées. La police de Pékin avait déjà étendu explicitement le champ d’application de la « rééducation par le travail » à ces infractions, mais il est difficile de savoir si, parmi les personnes visées par cette campagne, certaines ont effectivement été astreintes à cette forme de détention [50].

Par ailleurs, d’après des organisations du mouvement Fa Lun Gong basées à l’étranger, le nombre d’arrestations de pratiquants du Fa Lun Gong a aussi augmenté à l’approche des Jeux olympiques51. Le 12 mars 2008, le Falun Dafa Information Centre, centre d’information basé aux États-Unis, a publié des données faisant état d’au moins 67 arrestations à Pékin depuis décembre 200752. D’après les notes accompagnant ces informations, quatre des personnes arrêtées auraient depuis été libérées ou se seraient évadées, et deux ou trois auraient été astreintes à une peine de « rééducation par le travail ».

Mise à jour : Bu Dongwei, pratiquant du Fa Lun Gong, est toujours détenu au centre de « rééducation par le travail » de Tuanhe, à Pékin. Le 19 juin 2006, après la découverte par la police de documents du Fa Lun Gong à son domicile, il avait été astreint à deux ans et demi de « rééducation par le travail » pour « opposition à la mise en application de lois nationales et troubles à l’ordre social ». Il serait contraint de travailler six jours par semaine (il colle des sacs de papier ou d’autres emballages), ainsi que de suivre des « cours » le soir. Les membres de sa famille sont autorisés à lui rendre visite une fois par mois mais, comme le centre est situé loin de chez eux, ils ne peuvent y aller que tous les deux ou trois mois. Il semble que Bu Dongweiait perdu du poids et que sa vue se soit détériorée pendant sa détention. Amnesty International s’inquiète vivement pour sa santé et continue de réclamer sa libération immédiate et sans conditions.

Des signataires de pétitions arrêtés, chassés de Pékin et astreints à des peines de « rééducation par le travail »

Au fil des ans, Pékin est devenue la destination de milliers de personnes réclamant l’intervention des autorités centrales à propos de diverses doléances. La plupart de ces personnes voient dans le voyage à Pékin un dernier recours lorsqu’elles n’ont pas réussi à obtenir réparation au niveau local. Beaucoup n’ont pas les moyens de s’offrir d’autres voies de recours, notamment les voies judiciaires officielles, et les tribunaux locaux rejettent souvent les affaires jugées politiquement sensibles. Connu sous le nom de « Lettres et visites » (xinfang), le droit d’adresser une requête ou pétition aux autorités est un système traditionnel, profondément ancré dans l’histoire chinoise et garanti par la Constitution. Cependant, des études d’universitaires chinois et d’autres rapports montrent que ce processus aboutit rarement53. Les signataires de pétitions voient souvent leur requête ignorée ou rejetée, et tentent par conséquent de la soumettre à des échelons toujours supérieurs du gouvernement, dans une procédure qui peut durer des années sans aucune garantie de succès.

Selon des informations récentes, les signataires de pétitions venus de toute la Chine présenter leurs griefs à Pékin feraient partie des personnes visées par le « nettoyage » de la ville en prévision des Jeux olympiques. Ainsi, début septembre 2007, la police de Pékin a chassé des milliers de personnes vivant dans le « village des signataires de pétitions » près de la Gare du Sud, à Pékin (district de Fengtai). Les policiers ont annoncé à ces personnes que le quartier serait bientôt démoli pour faire place à une nouvelle gare en vue des Jeux olympiques. Les propriétaires ont aussi été prévenus qu’ils auraient à payer des amendes s’ils continuaient de louer leurs appartements à des signataires de pétitions. Ceux qui ont accepté de partir avant le 19 septembre 2007 ont, semble-t-il, reçu une petite compensation financière, mais les autres ont été arrêtés par la police ; jusqu’à un millier d’entre eux auraient été envoyés au Centre de gestion de l’accueil et de l’aide de Pékin54.

Le même mois, des informations ont fait état de l’ouverture, par les bureaux de liaison des gouvernements provinciaux à Pékin, de centres de détention secrets en périphérie de la capitale55. Il s’agit de centres provisoires, installés notamment dans d’anciens hôtels, utilisés pour incarcérer les signataires de pétitions avant leur renvoi forcé dans leur localité d’origine. Les détenus y seraient entassés pendant des jours, voire des mois, dans des conditions déplorables (manque de nourriture et d’installations sanitaires, absence de soins médicaux, etc.). Ils sont surveillés par de jeunes « gardiens » sans aucun statut officiel, apparemment recrutés pour l’occasion, qui les frappent régulièrement. Des défenseurs locaux des droits humains ont condamné ces centres de détention, affirmant qu’ils « fonctionnent complètement en dehors du système judiciaire chinois, n’ont aucun fondement juridique dans le droit chinois et violent le droit à une procédure régulière garanti par les conventions internationales relatives aux droits humains56. »

Une fois renvoyés chez eux, les militants et les signataires de pétitions risquent de nouvelles violations, notamment des peines de « rééducation par le travail » destinées à les punir de leurs activités et à les empêcher de retourner à Pékin. Voici quelques exemples récents qui illustrent la multiplication des cas de détention arbitraire à l’approche des Jeux olympiques de Pékin :

Wang Ling, défenseure des droits au logement vivant à Pékin, aurait été astreinte à quinze mois de « rééducation par le travail » en octobre 2007 pour avoir signé des pétitions et préparé des banderoles afin de protester contre la démolition de son logement dans le cadre des projets de construction des sites olympiques. Elle avait mené ces actions avec Ye Guozhu, cité ci-dessus. Battue, arrêtée et emprisonnée à de multiples reprises, Wang Ling serait actuellement détenue au centre de « rééducation par le travail » de Daxing, à Pékin.

Liu Jie, militante chevronnée des droits des populations rurales, originaire de la ville de Bei’an, dans la province du Heilongjiang (nord-est de la Chine), a été astreinte en novembre 2007 à dix-huit mois de « rééducation par le travail » dans la ville de Qiqihaer pour avoir été à l’origine d’une lettre de la population demandant aux dirigeants du 17e Congrès du Parti communiste chinois d’adopter des réformes politiques et juridiques, et notamment d’abolir la « rééducation par le travail ». Accusée d’avoir « fomenté des troubles » et « troublé l’ordre social », elle est devenue une signataire de pétitions célèbre à Pékin et sa lettre aurait été signée par plus de 12 000 personnes. Liu Jie souffrirait de graves lésions aux yeux à la suite de coups reçus en garde à vue. Les autorités ont jusqu’ici ignoré les demandes de libération pour raisons médicales et de révision administrative de sa condamnation à la « rééducation par le travail » présentées par son avocat.

Liu Jie a formulé sa première requête lorsque les autorités locales ont rompu, semble-t-il, le contrat qu’elle avait conclu avec elles pour confisquer sa laiterie en 1997. Dans une interview accordée au journal The Guardian en août 2007, elle a déclaré : « la nation ne veut pas de citoyens comme moi […] Nous avons appris que le chef de la police avait récemment fait un discours dans lequel il affirmait la nécessité de renforcer les obstacles destinés à empêcher les signataires de pétitions de se rendre à Pékin. Voilà comment ils nous traitent – ils préfèrent nous tenir à l’écart plutôt que de s’occuper de nos problèmes57. »

Wang Guilin et Yu Changwu, défenseurs des droits fonciers en milieu rural, originaires de la ville de Fujin, dans la province du Heilongjiang, ont été astreints respectivement à dix-huit mois et à deux ans de « rééducation par le travail » en janvier 2008. Avec Yang Chunlin, cité ci-dessus, ils étaient impliqués dans un conflit de longue date avec les autorités locales à propos d’expropriations de terres dans la ville de Fujin. Yu Changwu se serait vu reprocher, entre autres « infractions », d’avoir accordé des interviews à des médias étrangers, révélé des informations relatives au système foncier chinois sur des sites Internet étrangers, et déclaré à des reporters « Ce que nous voulons, c’est notre terre, pas les Jeux olympiques. »

Les mesures d’arrestation arbitraire et de renvoi forcé des signataires de pétitions présentent des similitudes inquiétantes avec l’ancienne pratique de « détention et rapatriement » (shourong qiansong) – système de détention administrative visant les vagabonds, les migrants et autres personnes sans domicile fixe dans les villes, aboli en août 2003. Ce système abusif, caractérisé, selon les témoignages, par des mauvais traitements contre les détenus (détention arbitraire, coups, extorsion d’argent et travail forcé), avait été vivement critiqué par les universitaires et les médias chinois après la mort tragique de Sun Zhigang, styliste de la région du Hubei, pendant sa détention dans un centre de « détention et rapatriement » de la province du Guangdong. L’enquête officielle avait conclu qu’il était mort sous les coups répétés d’autres détenus à l’instigation de certains membres du personnel de l’hôpital du centre de détention. À l’époque, l’abolition du système de « détention et rapatriement » avait été annoncée à grand renfort de publicité par la presse officielle chinoise comme une avancée significative pour les droits humains en Chine.

Amnesty International considère que l’utilisation de méthodes apparemment similaires pour « nettoyer » Pékin à l’approche des Jeux olympiques constitue un grave retour en arrière pour les droits humains, est contraire à toute notion de « dignité humaine » et porte atteinte à l’état de droit. Le fait d’incarcérer et d’astreindre à la « rééducation par le travail » les signataires de pétitions qui viennent à Pékin en dernier recours parce qu’ils n’ont pas pu obtenir justice localement ne fera qu’aggraver leurs motifs de mécontentement, compromettant tout effort d’instauration d’une société « harmonieuse ».

Les réformes de la peine de mort ne satisfont pas aux principes de respect de la « dignité humaine » énoncés dans la Charte olympique

D’après les déclarations officielles, le rétablissement du contrôle de la Cour populaire suprême sur les condamnations à mort a entraîné une baisse significative du nombre d’exécutions en Chine en 2007. Par exemple, en novembre 2007, le président de cette Cour, Xiao Yang, a déclaré qu’en 2007, pour la première fois, le nombre de condamnations à mort avec sursis avait été supérieur au nombre d’exécutions58. Il a attribué cette évolution à une utilisation plus prudente de la peine de mort par les tribunaux à la suite du rétablissement du contrôle de la Cour populaire suprême, sans pour autant fournir de statistiques sur les condamnations à mort. Quelques temps auparavant, en septembre 2007, la Cour avait publié un document soulignant que tous les criminels méritant la peine capitale sans qu’une exécution immédiate soit nécessaire devaient faire l’objet d’une condamnation à mort assortie d’un sursis de deux ans59. Dans son rapport à la session annuelle de l’Assemblée populaire suprême en mars 2008, Xiao Yang n’a toujours pas donné de statistiques, mais a affirmé que la peine de mort avait été appliquée « strictement, prudemment et justement » à « un nombre infime de coupables de crimes graves en Chine60. » Un autre responsable de la Cour populaire suprême a précisé que cette dernière avait rejeté 15 p. cent des condamnations à mort décidées par des juridictions inférieures pour « confusion des faits, manque de preuves, détermination inappropriée de la peine ou vices de procédure61 ».

Les rapports de certains tribunaux provinciaux semblent aussi confirmer une baisse du nombre des exécutions. Par exemple, un responsable d’une juridiction intermédiaire du nord-ouest de la Chine, dont on ignore l’identité, aurait déclaré que son tribunal n’avait fait procéder qu’à dix exécutions en 2007, contre une soixantaine en moyenne les années précédentes, ajoutant que cela n’avait eu aucune incidence négative sur l’ordre public62.

Amnesty International se réjouit de toute baisse du nombre des exécutions, mais estime que ces affirmations doivent être soutenues par la publication de statistiques nationales exhaustives et d’autres informations détaillées sur l’application de la peine de mort en Chine. Cette transparence serait aussi conforme à l’objectif d’une « Chine plus ouverte » d’ici aux Jeux olympiques. La diminution du nombre d’exécutions peut probablement être en partie attribuée à une « accumulation » croissante de dossiers en attente d’examen par la Cour populaire suprême. Il semble en effet que, au moins dans certains cas, celle-ci ait mis plusieurs mois à rendre son avis. Par exemple, en décembre 2007, un avocat attendait toujours sa décision sur une affaire qui lui avait été transmise en juillet63.

Amnesty International continue aussi de penser que le seul rétablissement du contrôle de la Cour populaire suprême ne suffira pas à résoudre tous les problèmes inhérents à la peine capitale. En particulier, il ne garantira pas un procès équitable aux accusés passibles de cette peine. Des universitaires chinois ont exprimé la même inquiétude. Ainsi, en décembre 2007, le professeur Chen Ruihua, de la faculté de droit de l’université de Pékin, a déclaré dans la presse chinoise : « Il serait utopique d’attendre du contrôle de la Cour populaire suprême qu’il permette de révéler les erreurs judiciaires64. »

En mars 2008, le président de la Cour populaire suprême, Xiao Yang, a affirmé à propos de ce processus de contrôle que le travail de transition s’était fait en douceur et en bon ordre, et que les procès où l’accusé encourait la peine capitale s’étaient déroulés de manière tout à fait normale65. Cependant, d’autres informations font état d’importants problèmes. Ainsi, plusieurs personnes concernées ont fait part de leurs constatations dans un long dossier paru dans le Nanfang Zhoumo (Week-end du Sud) le 20 décembre 200766. Selon ce dossier, les 500 juges contrôleurs répartis en cinq tribunaux sont confrontés à une très lourde charge de travail et doivent souvent travailler tard le soir et le week-end pour traiter toutes les affaires. Un juge expérimenté a souligné que les jeunes chercheurs fraîchement sortis de l’université trouvaient particulièrement difficile de « maîtriser leurs émotions » pour pouvoir examiner comme il se doit les dossiers de condamnés à mort.

Interrogé pour ce dossier, le responsable d’un centre de détention du sud-ouest de la Chine a témoigné de la pression supplémentaire que ce processus de contrôle faisait peser sur les centres de détention en rallongeant inévitablement la durée de détention entre la condamnation et l’exécution. D’après ce responsable, « les années précédentes, la décision tombait très vite et, en fonction de celle-ci, les prisonniers étaient soit exécutés, soit transférés en prison, soit libérés. Maintenant, il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre… »

Toujours selon ce même dossier, aucune information publique n’est disponible sur la répartition du travail entre les cinq tribunaux ni sur leur compétence régionale. Les avocats de la défense n’ont en outre aucun moyen officiel de savoir quand les affaires dont ils s’occupent sont transmises à la Cour populaire suprême, à quel moment elles sont examinées ni comment rencontrer le juge concerné. Ainsi, un avocat de la ville de Xi’an, dans la province du Shaanxi, a raconté comment il avait appris par une voie détournée que le dossier de son client avait été transmis à la Cour en juillet 2007. Immédiatement, il a envoyé une liasse de documents et a tenté de suivre l’affaire par téléphone mais, peu satisfait des réponses obtenues, il a préféré se rendre directement à Pékin. Il savait que le dossier de son client avait été attribué au cinquième tribunal, mais on lui a refusé l’entrée de ce tribunal car il n’avait pas le nom du juge chargé spécifiquement du dossier. On l’a donc renvoyé au Bureau des lettres et requêtes pour la Cour populaire suprême, dans un autre quartier de Pékin, où il s’est retrouvé au milieu d’une foule de plaignants aux revendications diverses et variées. Il s’est alors dit qu’« un avocat ne devrait pas avoir à passer par ce genre de démarches. »

Le dossier du Nanfang Zhoumo évoque également le mécontentement de nombreux responsables provinciaux chargés du maintien de l’ordre et du respect de la loi à propos du rétablissement du processus de contrôle par la Cour populaire suprême. En effet, la peine de mort est considérée par de nombreux responsables locaux comme un instrument essentiel d’administration des affaires publiques et comme un symbole de l’autorité de l’État. En particulier, plusieurs organes publics de sécurité continuent de noter et de récompenser les policiers en fonction de leurs résultats en termes de répression de la criminalité aboutissant à des condamnations à mort. Comme souligné dans l’article, de telles pratiques vont à l’encontre d’une réduction du nombre de condamnations à mort et d’exécutions.

Amnesty International salue le rétablissement du contrôle de la Cour populaire suprême, mais elle reste profondément préoccupée par le fait que les accusés passibles de la peine capitale n’ont toujours pas droit à un procès équitable en Chine. Des erreurs judiciaires dans des affaires où l’accusé encourait la peine de mort continuent d’être révélées. Par exemple, le 25 janvier 2008, un travailleur migrant du Shanxi, Hao Jin’an, a été libéré après avoir passé presque dix ans en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis. En 1998, il avait été reconnu coupable du meurtre d’un autre mineur de la houillère où il travaillait, crime qu’il avait avoué, semble-t-il, après avoir été déshabillé et passé à tabac par les policiers. Il avait perdu connaissance à plusieurs reprises, et un des coups avait été si violent qu’un de ses reins avait éclaté et avait dû lui être enlevé. En novembre 1998, il avait été condamné à la peine capitale avec un sursis de deux ans par le tribunal populaire intermédiaire de Linfen, dans la province du Shanxi, peine qui avait ensuite été commuée en prison à vie. Pendant sa détention, Hao aurait écrit aux autorités à plusieurs reprises pour clamer son innocence, mais il n’a jamais reçu de réponse. L’erreur a été révélée lorsqu’un autre homme arrêté en avril 2006 par la police du Henan a avoué être l’auteur de ce meurtre. Toutefois, il a encore fallu semble-t-il plus d’un an pour que Hao soit libéré, en raison de « divergences entre les systèmes judiciaires des deux provinces67 ».

Le seul moyen de protéger totalement les accusés d’erreurs judiciaires irréversibles et de garantir le droit à la vie est d’abolir complètement la peine de mort. Amnesty International exhorte les autorités à prendre le plus rapidement possible de nouvelles mesures en ce sens, et notamment à réduire le nombre de crimes passibles de la peine capitale. Dans ce contexte, l’organisation s’inquiète de ce que les interprétations judiciaires récentes de la Cour populaire suprême pourraient en fait accroître la probabilité pour les auteurs de certains crimes d’être condamnées à mort, même si ces condamnations ne se soldent finalement pas par des exécutions :

Le 21 août 2007, la Cour populaire suprême a publié une nouvelle interprétation judiciaire précisant que les tribunaux pouvaient appliquer la peine de mort en cas de dommages à des installations électriques ayant entraîné des « conséquences sérieuses » conformément à l’article 119 du Code pénal. Ces conséquences peuvent être, entre autres, les suivantes : « tuer une personne ou plus, blesser sérieusement au moins trois personnes ou légèrement au moins dix personnes » ; ou « provoquer une coupure d’électricité de six heures ou plus touchant 10 000 foyers ou bien la production industrielle68 ».

Le 29 novembre 2007, la Cour populaire suprême, le Parquet populaire suprême et l’Agence nationale des aliments et des médicaments ont publié une interprétation judiciaire conjointe précisant que les personnes coupables d’avoir vendu ou fabriqué des médicaments contrefaits ayant eu « des effets extrêmement graves » chez des patients pouvaient être condamnées à mort. Ces effets peuvent être, entre autres, l’apparition, après usage du médicament en question, d’« une grave difformité ou de graves lésions physiques chez plus de trois personnes » ou « de lésions légères chez plus de dix personnes69 ».

Certes, le Code pénal permettait déjà le recours à la peine de mort pour ces infractions, mais Amnesty International craint que les juridictions inférieures ne prennent ces interprétations comme un encouragement à appliquer effectivement cette peine dans les affaires de ce type. Cette tendance va à l’encontre des efforts menés par de nombreux juristes, législateurs et militants en Chine en vue d’obtenir l’abolition de la peine de mort, en particulier pour les infractions non violentes.

Dans une lettre conjointe adressée à l’Assemblée populaire nationale en mars 2008, Amnesty International et d’autres membres de la Coalition mondiale contre la peine de mort et du Réseau asiatique contre la peine de mort (ADPAN) ont exhorté les législateurs chinois à adopter de nouvelles réformes en attendant une abolition totale de la peine capitale en Chine70. Ils leur ont notamment recommandé :

d’examiner et d’adopter des amendements aux lois sur le secret d’État afin d’exclure explicitement de leur champ d’application les informations relatives à la peine de mort ;
de modifier le Code de procédure pénale afin de garantir le droit à un procès équitable, l’interdiction absolue de la torture pour tous les détenus en Chine, y compris pour ceux qui encourent la peine de mort, et le refus d’admettre à titre de preuve des « aveux » arrachés sous la torture ;
d’examiner et d’adopter des amendements au Code pénal supprimant la peine de mort pour les infractions non violentes, telles que les délits économiques et les infractions en matière de stupéfiants – il s’agirait d’un pas important vers l’abolition de la peine de mort ;
de voir si la pratique consistant à infliger des condamnations à mort avec sursis pourrait fournir un cadre approprié pour l’introduction d’un moratoire sur les exécutions en Chine.

Cette dernière recommandation s’appuyait sur la résolution sans précédent adoptée le 18 décembre 2007 par l’Assemblée générale des Nations Unies et demandant un moratoire mondial sur les exécutions. Bien que la Chine fasse partie de la minorité d’États qui ont voté contre cette résolution, Amnesty International engage vivement les autorités chinoises à revoir leur position et à mettre la Chine en adéquation avec l’opinion internationale, fortement majoritaire sur cette question71.

Dans cette lettre, les organisations s’inquiétaient également des déclarations officielles du vice-président de la Cour populaire suprême, Jiang Xingchang, selon lesquelles la Chine allait développer l’usage de l’injection létale, considérée comme une forme plus « humaine » d’exécution72. C’est faire fi de l’immense souffrance psychologique des prisonniers en attente d’une condamnation à mort ou d’une exécution, quelle que soit la méthode utilisée pour les tuer. En outre, l’exécution par injection létale implique la participation de personnel de santé aux exécutions, ce qui est contraire à l’éthique médicale internationale73. Par ailleurs, dans les quelques pays qui utilisent ou ont utilisé l’injection létale, de nombreux prisonniers ont souffert pendant l’exécution en raison de problèmes techniques, tels que : la difficulté de trouver une veine, obligeant le personnel médical à piquer et repiquer le condamné pendant de longues minutes ou à pratiquer une incision chirurgicale pour accéder à une veine interne ; des retards dans l’effet du produit destiné à provoquer la perte de conscience du prisonnier ; l’injection des produits dans les tissus et non dans une veine ; etc. On sait que, dans d’autres pays, certaines exécutions ont parfois duré jusqu’à quatre-vingt-dix minutes. Ces problèmes peuvent venir aggraver la souffrance du prisonnier. Quelle que soit la méthode utilisée, les exécutions vont à l’encontre de l’esprit de la Charte olympique, qui place le respect de la dignité humaine au cœur du mouvement olympique.

Amnesty International s’inquiète également de ce que l’utilisation de l’injection létale pourrait être un moyen de faciliter les prélèvements d’organes en vue de transplantations. L’organisation est préoccupée depuis longtemps par le fait que le commerce lucratif des organes est un argument économique fort en faveur de la poursuite des exécutions. Amnesty International ne pense pas que des prisonniers en attente d’une exécution soient en mesure de donner un consentement éclairé à ce sujet s’ils ne l’avaient pas fait avant leur emprisonnement (par exemple, en remplissant une carte de donneur d’organe ou en exprimant leur choix de toute autre manière). Par ailleurs, il existe un risque de voir les condamnés à mort devenir une source d’organes communément admise, ce qui gênerait l’adoption ou la mise en œuvre de mesures allant dans le sens d’une abolition de la peine capitale. En outre, les dates d’exécution pourraient être choisies en fonction des besoins en organes. Enfin, cette pratique transforme les exécutions en opérations quasi médicales, obligeant des médecins à pratiquer des actes contraires à leur éthique.

Dans ce contexte, Amnesty International salue la décision récente de l’Association médicale chinoise, semble-t-il soutenue par le ministère de la Santé, de ne pas transplanter d’organes provenant de prisonniers ou d’autres personnes incarcérées, sauf à des membres de leur famille proche74. Cependant, des responsables du ministère de la Santé auraient déclaré que, face à la baisse du nombre de transplantations liées aux exécutions, les prisonniers resteraient une source d’organes pendant encore cinq ans. Cet accord semble en outre être en contradiction avec les déclarations récentes de responsables chinois selon lesquelles les condamnés à mort peuvent donner leurs organes en vue d’une transplantation tant que ce don est « volontaire » et que les détenus ou leurs proches ont donné leur consentement75.

Conclusion et recommandations

« La Chine tiendra ses engagements et fournira de bons services à la famille olympique et aux spectateurs […] En accueillant avec succès les Jeux olympiques, nous voulons non seulement présenter au monde une Chine encore plus ouverte et plus harmonieuse, mais aussi faire progresser l’esprit olympique en Chine […] Je suis convaincu que, avec le soutien du gouvernement et du peuple chinois, ainsi qu’avec votre aide et vos conseils, M. le Président, et ceux du CIO et d’autres organisations internationales, nous serons en capacité d’accueillir les Jeux olympiques comme il se doit et de la meilleure manière qui soit et de veiller à ce qu’ils laissent un héritage précieux pour la Chine, le monde et les Jeux olympiques76. »

Amnesty International espère que les Jeux olympiques de Pékin vont effectivement laisser un héritage positif. Cependant, comme le montre ce rapport, les promesses officielles d’amélioration de la situation des droits humains ne sont pas encore tenues. Si des mesures ne sont pas prises de toute urgence, l’héritage des Jeux olympiques de Pékin sera loin d’être « précieux » pour les droits humains – en fait, à seulement quatre mois de leur ouverture, les Jeux risquent surtout d’être ternis par la répression et les persécutions, les retards dans la réforme des formes abusives de détention sans procès, et la réintroduction en catimini d’une forme de « détention et rapatriement ». Amnesty International exhorte les autorités chinoises à agir avec fermeté pour empêcher une telle issue.

L’organisation reste profondément préoccupée de ce que, lorsqu’on les interroge sur leur bilan en matière de droits humains, les autorités chinoises continuent d’attribuer des « arrière-pensées politiques » à ceux qui cherchent à rattacher « certains sujets » aux Jeux olympiques77. Pourtant, en établissant un lien entre les JO et les droits humains, Amnesty International ne fait qu’enjoindre les autorités chinoises à respecter l’engagement qu’elles ont pris et répété à plusieurs reprises de manière officielle pendant la phase de candidature, selon lequel la situation des droits humains s’améliorerait à l’approche des Jeux olympiques. En outre, en tant qu’organisation internationale de défense des droits humains indépendante de tout gouvernement et de toute idéologie politique, dont le seul but est de faire campagne en faveur du respect des droits humains à travers le monde, Amnesty International considère que la défense des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres normes internationales implique aussi la défense des valeurs consacrées par la Charte olympique.

Par conséquent, l’organisation appelle aussi les autres parties internationales concernées, notamment le CIO et les dirigeants mondiaux qui ont l’intention d’assister aux Jeux, à protester fermement et publiquement auprès des autorités chinoises à ce sujet. Dans la controverse qui a agité les médias à propos de la démission de Steven Spielberg de son poste de conseiller artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture en février 2008, en lien avec le Darfour, plusieurs commentateurs ont fait observer que les entreprises qui sponsorisent les Jeux seraient contraintes de réfléchir davantage à leur engagement dans les Jeux olympiques78. L’acteur américain George Clooney, qui fait de la publicité pour les montres Omega et s’est exprimé avec franchise sur le rôle de la Chine au Darfour, a déclaré par la suite aux journalistes que cela faisait plus d’un an qu’il en parlait avec Omega (l’un des sponsors mondiaux des Jeux olympiques de Pékin) et qu’il allait continuer de le faire79. Selon certaines informations, le directeur général du groupe Swatch, propriétaire d’Omega, a ensuite confirmé qu’Omega aborderait avec la Chine la question de son soutien au Soudan, mais « directement avec ses contacts au plus haut niveau » plutôt que publiquement80.

Amnesty International considère que les sponsors des Jeux olympiques devraient aussi se préoccuper de la situation des droits humains sur le territoire chinois. Selon elle, afin de limiter les risques d’être associés à des Jeux olympiques caractérisés par de graves violations des droits humains, ces sponsors doivent absolument exprimer aux autorités chinoises et au CIO leurs préoccupations à propos de la situation de ces droits en Chine.

Dans les médias, plusieurs représentants du CIO ont soutenu que celui-ci n’avait aucun pouvoir ni aucune influence sur la situation des droits humains en Chine. Par exemple, en octobre 2007, le président du CIO, Jacques Rogge, aurait déclaré : « Il est tout à fait légitime que [les groupes de défense des droits humains] cherchent à obtenir le maximum des Jeux olympiques, mais ils se trompent en accusant le CIO de ne pas résoudre les problèmes […] Comment pourrions-nous réussir là où des générations de chefs d’État et de gouvernement en visite à Pékin ont échoué ? Nous sommes une organisation sportive. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire81… »

Pourtant, lorsqu’il a attribué les Jeux à la Chine, le CIO a clairement exprimé son espoir de voir la situation des droits humains s’améliorer à la faveur des Jeux olympiques de Pékin. Amnesty International considère donc légitime d’attendre du CIO qu’il use de son influence sur les autorités chinoises pour obtenir des changements positifs conformes à l’esprit de la Charte olympique82.

Le CIO a déclaré à Amnesty International que sa légitimité se limitait aux violations directement liées à l’accueil des Jeux olympiques par la Chine. L’organisation considère que toutes les atteintes aux droits humains décrites ci-dessus ont un lien direct avec l’organisation de ces Jeux. En outre, dans plusieurs domaines, la situation des droits humains s’est détériorée en conséquence directe des préparatifs pour les Jeux. En résumé :

La répression contre les militants pacifiques s’est intensifiée directement à cause de l’organisation des Jeux olympiques en Chine. En effet, plusieurs des militants évoqués dans ce rapport ont été pris pour cibles précisément parce qu’ils avaient établi un lien explicite entre les JO et les droits humains ; en outre, ces militants sont parmi ceux qui ont été traités le plus durement. D’autres, comme Ye Guozhu, ont été visés pour avoir attiré l’attention sur les violations de leurs droits découlant directement des préparatifs des Jeux.

Les déclarations de la police de Pékin laissent à penser que le maintien de la « rééducation par le travail » malgré la volonté de longue date du corps législatif de réformer ce système découle de la nécessité ressentie par les autorités de chasser les « indésirables » des rues de Pékin dans le cadre du « nettoyage » de la ville à l’approche des Jeux olympiques. Cette forme de détention est notamment utilisée pour réduire au silence et emprisonner des militants pacifiques qui ont établi un lien entre les droits humains et les JO, comme Yu Changwu, ou qui estiment que les préparatifs des Jeux ont entraîné des violations directes de leurs droits humains, comme Wang Ling. Ces préoccupations se sont encore aggravées ces derniers mois avec la réinstauration apparente d’une forme de « détention et rapatriement » permettant d’arrêter les signataires de pétitions à Pékin pour les renvoyer dans leur province d’origine.

Il est positif que la Chine ait adopté de nouvelles règles plus ouvertes pour les journalistes étrangers en vue des Jeux olympiques, mais ces règles doivent être étendues à tout le pays et appliquées de manière uniforme et systématique, sinon elles ne suffiront pas à dissiper les préoccupations internationales sur les limites à la liberté d’expression en Chine. Ces préoccupations sont d’autant plus vives que la Chine n’a pas étendu ces règles aux journalistes chinois et que, parallèlement, elle renforce les contrôles et la censure des médias nationaux et empêche les militants locaux de parler aux médias.

Le recours à la peine de mort en Chine ne respecte pas les principes fondamentaux de la « dignité humaine » inscrits dans la Charte olympique. Le rétablissement du contrôle des condamnations à mort par la Cour populaire suprême est une réforme importante, mais le système reste entaché d’irrégularités. Même si le nombre de condamnations à mort et d’exécutions semble avoir diminué, les prisonniers qui encourent la peine capitale en Chine continuent d’être privés de leur droit à un procès équitable. En attendant l’abolition de la peine de mort, d’autres mesures doivent être adoptées, en particulier pour améliorer la transparence et réduire de manière significative le nombre d’infractions passibles de cette peine en Chine.

Le CIO a aussi déclaré à Amnesty International qu’il n’était à son avis pas dans son intérêt, ni dans celui de la Chine, que ses représentants expriment publiquement leurs préoccupations en matière de droits humains. Amnesty International n’est pas opposée à un dialogue en privé à ce sujet. Cependant, des années de relations entre la Chine et les autres gouvernements ont montré que le dialogue privé avec les autorités chinoises à propos des droits humains n’avait au mieux qu’un effet limité sur la situation sur le terrain. C’est pourquoi l’organisation n’a eu de cesse de souligner que tout dialogue privé devait s’accompagner le cas échéant d’une dénonciation publique des préoccupations.

Le 23 mars 2008, le président du CIO, Jacques Rogge, a publié une déclaration dans laquelle il a réaffirmé que les Jeux olympiques étaient « une force au service du bien83 ». Évoquant pour une fois des préoccupations spécifiques relatives à la situation des droits humains en Chine, il a ajouté : « la situation au Tibet préoccupe vivement le CIO. Nous avons déjà exprimé l’espoir de voir ce conflit se régler pacifiquement le plus rapidement possible. La violence, quelle qu’en soit la raison, est contraire à l’esprit et aux valeurs olympiques. Le CIO continuera de respecter la cause des droits de l’homme [sic] » Amnesty International se félicite de la décision du CIO de s’exprimer publiquement sur la situation au Tibet, et l’engage vivement à faire de même sur d’autres sujets de préoccupation relatifs aux droits humains, notamment ceux qui figurent dans ce rapport.

Alors qu’ils sont peu disposés à parler publiquement de la question des violations des droits humains, les responsables du CIO ont fait plusieurs déclarations dans les médias sur les soi-disant progrès de la Chine en matière de droits fondamentaux. Par exemple, le 5 avril 2006, Jacques Rogge a été cité par l’Agence France Presse (AFP) comme ayant déclaré : « Il est clair que l’organisation des Jeux olympiques va faire beaucoup pour l’amélioration des droits humains et des relations sociales en Chine ». Plus spécifiquement, dans une interview en ligne accordée au journal Die Welt le 25 décembre 2007, le vice-président du CIO, Thomas Bach, a déclaré : « Les Jeux peuvent servir de catalyseur et contribuer à ouvrir une société. Nous l’avons déjà constaté en Chine, par exemple avec de gros progrès dans le domaine des médias et de la peine de mort. Il y a eu aussi de nouvelles lois en faveur des travailleurs migrants et contre le travail des enfants84. »

Amnesty International considère qu’il n’est pas pertinent d’évoquer des progrès dans certains domaines sans parler de la détérioration marquée dans d’autres domaines. Tout en reconnaissant l’importance des nouvelles lois et réglementations, l’organisation rappelle que celles-ci doivent être correctement mises en œuvre et appliquées pour avoir un effet quelconque sur les droits humains. Les défenseurs chinois des droits humains ont un rôle essentiel à jouer : ils doivent attirer l’attention sur les problèmes qui se posent avec la mise en œuvre des lois existantes, et proposer d’autres réformes en fonction des violations des droits humains qu’ils constatent. Amnesty International exhorte le CIO à interpeller publiquement les autorités chinoises à propos de la détérioration de la situation des défenseurs pacifiques des droits humains en Chine, notamment ceux dont les cas sont décrits dans ce rapport.

Les dirigeants mondiaux, en particulier ceux qui ont l’intention de se rendre aux Jeux olympiques de Pékin, doivent aussi s’exprimer sur ces questions. C’est d’autant plus important que les Jeux approchent. Sinon, la présence silencieuse de dirigeants mondiaux influents risquerait d’être perçue comme une approbation des violations des droits humains commises en lien avec cette manifestation majeure. Se taire, en particulier pendant que les militants chinois sont muselés en violation de leurs droits fondamentaux, reviendrait de fait à établir une « conspiration du silence » contraire aux principes et à l’esprit de la Charte olympique. Une prise de position ferme et publique du CIO et des dirigeants mondiaux est indispensable pour réduire les risques de voir de graves atteintes aux droits humains ternir l’héritage des Jeux olympiques de Pékin pour la Chine, pour le mouvement olympique en général et pour tous ceux qui ont intérêt à ce que ces Jeux soient un succès.

Recommandations au gouvernement chinois

Amnesty International réitère son appel pour la libération immédiate et sans conditions de tous les prisonniers d’opinion, y compris les militants, journalistes et internautes cités dans ce rapport et les précédents sur le compte à rebours avant les Jeux olympiques : Hu Jia, Bu Dongwei, Ye Guozhu, Chen Guangcheng, Shi Tao, Yang Tongyan, Huang Jinqiu, Lü Gengsong, Yang Chunlin, Wang Ling, Liu Jie, Wang Guilin et Yu Changwu.

Par ailleurs, l’organisation exhorte les autorités à mettre un terme aux arrestations arbitraires, à l’intimidation et au harcèlement des militants qui ne sont pas officiellement détenus ou emprisonnés, tels que Gao Zhisheng, Zheng Enchong, Zeng Jinyan, Qi Zhiyong, Yuan Weijing, Teng Biao, Li Heping, Ye Mingjun, Ye Guoqiang et Wang Dejia. Tous ces militants doivent être libres de communiquer avec les journalistes ou de soulever des questions d’un intérêt légitime sans être sanctionnés ni harcelés.

Amnesty International prie instamment le gouvernement de renforcer les réformes du système d’application de la peine de mort en favorisant une plus grande transparence, d’une part en permettant aux familles et aux avocats de rencontrer les condamnés à mort et d’accéder à leur dossier, et d’autre part en publiant des données sur l’application de ce châtiment à l’échelle du pays. Au vu des déclarations officielles récentes indiquant une diminution du nombre de condamnations à mort et d’exécutions grâce au rétablissement du contrôle par la Cour populaire suprême, l’organisation engage les autorités à publier des statistiques nationales exhaustives sur le recours à la peine capitale.

Conformément aux déclarations officielles selon lesquelles la Chine aurait pour objectif final l’abolition totale de la peine de mort, Amnesty International appelle une nouvelle fois le gouvernement à supprimer de la liste des crimes passibles de la peine capitale les infractions non-violentes, notamment les délits économiques et les infractions en matière de stupéfiants, en attendant l’abolition totale en droit de ce châtiment. Elle engage aussi vivement les autorités chinoises à revoir leur position concernant le moratoire sur les exécutions et à mettre la Chine en adéquation avec l’opinion internationale très majoritaire sur cette question en annonçant elle-même un tel moratoire.

Amnesty International continue d’exhorter les autorités à abolir la « rééducation par le travail » et toutes les autres formes de détention administrative, en veillant à ce que la police ne puisse plus décider seule d’incarcérer un suspect, afin de mettre un terme aux violations du droit à un procès équitable et de mettre les pratiques d’incarcération en conformité avec le PIDCP, que la Chine a annoncé avoir l’intention de ratifier dans un avenir proche. Le gouvernement doit prendre de toute urgence des mesures pour empêcher la police ou les représentants des autorités provinciales à Pékin de recourir, pour « nettoyer » la capitale avant et pendant les Jeux olympiques, à des formes abusives de détention administrative, telles que la « rééducation par le travail » ou les nouvelles formes de détention s’apparentant à un rétablissement du système de « détention et rapatriement ».

Amnesty International prie instamment les autorités de veiller à ce que les nouvelles réglementations relatives aux journalistes étrangers soient réellement mises en œuvre et appliquées de manière uniforme dans toute la Chine, et garantissent à ces journalistes une liberté totale d’accès et de reportage. Le même degré de liberté doit par ailleurs être accordé aux médias nationaux. Les autorités doivent mettre un terme à la censure injustifiée des médias sous toutes leurs formes en Chine et prendre des mesures urgentes pour empêcher les violations du droit à la liberté d’expression que constituent les arrestations arbitraires, le harcèlement ou les licenciements abusifs de reporters et de journalistes.

Recommandations aux autres gouvernements, au CIO et aux entreprises qui parrainent les Jeux olympiques

Afin d’éviter que les Jeux olympiques de Pékin ne laissent un héritage négatif en termes de droits humains, Amnesty International appelle les dirigeants mondiaux, notamment ceux qui ont l’intention de se rendre à ces Jeux, d’user de leur influence pour inciter les autorités chinoises à suivre de toute urgence les recommandations ci-dessus. Elle prie instamment les gouvernements de s’exprimer publiquement à propos des préoccupations évoquées dans le présent rapport, et en particulier du sort des militants chinois. En effet, l’absence de condamnation ferme et publique pourrait être interprétée comme une approbation tacite des violations des droits humains commises pendant les préparatifs des Jeux.

Afin que les principes fondamentaux de l’Olympisme en matière de « dignité humaine » et de « principes éthiques fondamentaux universels » soient respectés et que l’héritage des Jeux olympiques soit positif pour Pékin et pour la Chine, Amnesty International exhorte le CIO à user de son influence pour inciter les autorités chinoises à suivre de toute urgence les recommandations ci-dessus. Au vu de la détérioration de la situation et à seulement quatre mois de l’ouverture des Jeux olympiques, elle l’invite à s’exprimer publiquement à propos des préoccupations évoquées dans le présent rapport, et en particulier du sort des militants chinois. Amnesty International engage aussi le CIO à expliquer clairement et publiquement comment il interprète l’article 51-3 de la Charte olympique, qui précise qu’« [a]ucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique » et à préciser les éventuelles instructions qu’il a pu donner aux comités nationaux olympiques à ce sujet.

Amnesty International exhorte les entreprises qui parrainent les Jeux olympiques à exprimer aux autorités chinoises et au CIO leur préoccupation à propos de la situation des droits humains en Chine, afin de limiter les risques d’être associées à des Jeux caractérisés par de graves violations des droits humains.

Notes

[1Voir Amnesty International, Chine. Jeux olympiques et droits humains : il reste un an à Pékin pour tenir ses promesses, août 2007 (index AI : ASA 17/024/2007).

[2Citation du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Liu Jianchao, “Blitz on dissent is legal, says Beijing”, AFP, 17 octobre 2007.

[3Voir “China sees activists as Olympic threat”, Associated Press, 23 juillet 2007.

[4“Ministère de la Sécurité publique : tous les rassemblements, défilés et manifestations durant les Jeux olympiques doivent respecter la législation chinoise”(?????????????????????????), Xinhuawang, 1er novembre 2007.

[5“Olympics : China says no protests without permission”, AFP, 12 mars 2008

[6Voir par exemple “Olympics : British riding boss supports Olympic gag”, AFP, 22 février 2008 ; “Athletes Face Olympic Ban for Criticizing China”, Daily Telegraph, 10 février 2008.

[7Voir Chine. À l’approche des Jeux olympiques, les réformes concernant la peine capitale et les médias sont occultées par la répression contre les militants, avril 2007 (index AI : 17/015/2007).

[8“China says thwarted attack on Olympics : state media”, AFP, 9 mars 2008

[9Les autorités chinoises ont déjà par le passé proféré des accusations similaires concernant une organisation terroriste violente dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Elles n’ont jamais publié d’éléments corroborant ces propos. De plus, les procès des suspects présumés se déroulent systématiquement à huis clos au titre des dispositions relatives à la sûreté de l’État, ce qui restreint davantage encore la possibilité pour les avocats d’avoir accès aux éléments de preuve. Ce procédé empêche les accusations de faire l’objet d’un examen public et rend impossible toute évaluation indépendante par Amnesty International ou par d’autres observateurs. Voir Chine. Les Ouïghours fuient les persécutions, ASA 17/021/2004.

[10« Le gouvernement demande aux avocats d’aider à faire face aux situations imprévues lors des Jeux. » (???????????????), Beijing News (???), 12 mars 2008.

[11“China sets up state-level security organization for Olympics”, Xinhua, 12 mars 2008.

[12Voir ASA 17/021/2004, op. cit.

[13Voir l’Action urgente d’Amnesty International sur Hu Jia AU 01/08 (ASA 17/035/2008) et la mise à jour, ASA 17/047/2008.

[14Aux termes des normes internationales en matière d’équité des procès, notamment de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que la Chine a signé et a déclaré vouloir ratifier, l’un des critères essentiels d’un procès équitable est le principe de l’« égalité des armes », qui doit être respecté pendant toute la durée de la procédure. Dans les procès au pénal, où l’accusation a derrière elle tout le système étatique, ce principe est une garantie essentielle du droit à se défendre. En application de ce principe, les deux parties doivent être traitées d’une manière qui garantit l’égalité de leur position au regard de la procédure, pendant toute la durée du procès. Elles doivent avoir la même opportunité de présenter leur dossier. La défense doit ainsi disposer d’une possibilité raisonnable de préparer et de défendre l’affaire et se trouver sur un pied d’égalité avec l’accusation. Ce principe exige notamment le droit à un délai et à des moyens suffisants pour préparer la défense, y compris la divulgation par le ministère public des éléments pertinents, et le droit de faire citer des témoins et de les interroger.

[15Zeng Jinyan avait par le passé été autorisée à quitter son domicile alors qu’elle se trouvait sous stricte surveillance policière.

[16Voir “China Human Rights Briefing : On eve of 6-month countdown to the Olympics, police stepped up harassment on Zeng Jinyan”, Chinese Human Rights Defenders (CHRD), 7 février 2008.

[17Sa lettre ouverte a été signée par des milliers de villageois de Fujin, dans la province du Heilongjiang, qui affirmaient que les autorités municipales les avaient expropriés, réquisitionnant leurs terres au nom du développement urbain sans leur assurer de compensation adéquate. Voir ASA 17/024/2007 p. 11 ainsi que l’Action urgente d’Amnesty International UA 240/07 (ASA 17/042/2007) et la mise à jour, ASA 17/048/2007.

[18Pour plus d’informations, voir l’Action urgente d’Amnesty International concernant Gao Zhisheng, UA 252/07, 28 septembre 2007 (ASA 17/045/2007). Cet épisode faisait suite à un premier enlèvement, au cours duquel Gao Zhisheng avait été détenu dans un lieu inconnu du 24 juin au 4 juillet 2007. Voir le précédent rapport d’Amnesty International sur la situation à l’approche des Jeux olympiques (ASA 17/024/2007) p.13.

[19Voir le communiqué de presse d’Amnesty International : Chine. À l’approche des Jeux olympiques, l’étau se resserre autour des militants de Pékin, 7 mars 2008.

[20Publié en septembre 2007. Voir http://hujiachina.spaces.live.com/blog/cns!2E61195DD50A5E9A!327.entry. Cet article a récemment été publié en anglais par Human Rights in China et Human Rights Watch. Voir :
http://hrichina.org/public/PDFs/CRF.4.2007/CRF-2007-4_Situation.pdf et http://hrw.org/pub/2008/asia/teng_biao080220.pdf

[21Pour plus d’informations, voir l’Action urgente d’Amnesty International, UA 253/07, ASA 17/046/2007, 3 octobre 2007 http://www.amnesty.org/en/library/info/ASA17/046/2007/en et la mise à jour ASA 17/064/2007, 21 décembre 2007. http://www.amnesty.org/en/library/info/ASA17/064/2007/en

[22Pour plus d’informations sur ce cas, voir le précédent rapport sur la situation à l’approche des Jeux olympiques, (ASA 17/046/2006) p.11.

[23D’après des données provenant du China Law Yearbook pour l’année 2007 compilées par Dui Hua, les tribunaux chinois ont été saisis de 344 affaires concernant des accusations de « mise en danger de la sécurité de l’État » en 2006, contre 288 affaires en 2005. D’après Dui Hua, il s’agit du « plus grand nombre d’affaires de ce type jugées par les tribunaux chinois depuis l’adoption de cette catégorie dans le droit pénal du pays en 1997 ». Voir “More official statistics point to increasing crackdown on political dissent in China”, Dui Hua Foundation, 4 décembre 2007. Le 17 mars 2008, Dui Hua a publié une nouvelle analyse pour l’année 2007, observant qu’il y avait eu 742 arrestations pour mise en danger de la sécurité de l’État au cours de l’année, d’après les statistiques officielles publiées par le Parquet populaire suprême. Voir “Statistics show Chinese political arrests rose again in 2007”, Dui Hua Foundation, 17 mars 2008.

[24Yuan Weijing, “Cost of Standing by your Man”, South China Morning Post (SCMP), 11 novembre 2007.

[25Voir “Thugs interfere with German TV crew in Shandong, throw stones”, Foreign Correspondents Club of China, http://www.fccchina.org/harras.htm. Le site Internet répertorie plusieurs autres cas d’obstruction et de harcèlement, voir ci-dessous.

[26Voir “China amends law to make life easier for lawyers”, 29 octobre 2007, disponible sur le site Internet de la Cour populaire suprême à l’adresse http://en.chinacourt.org/public/detail.php?id=4226 et “China to amend law to help lawyers obtain evidence, open firms”, Xinhua, 24 juin 2007.

[27Voir “Revisions a step forward but not enough : lawyers”, SCMP, 30 octobre 2007. Voir aussi ?????????????????? (« La Loi relative aux avocats récemment modifiée est-elle incompatible avec la Loi de procédure pénale ? »), China Youth Daily, 29 janvier 2008.

[28“Hong Kong journalist contemplated suicide in China jail”, AFP, 21 février 2008.

[29Pour plus d’informations, voir “Guangxi dissident writer Jing Chu detained for ‘inciting subversion of state power”, China Human Rights Defenders (CHRD), 15 décembre 2007.

[30Voir par exemple “Statement of Chairman Lantos at hearing, Yahoo ! Inc’s Provision of False Information to Congress”, 6 novembre 2007.

[31Voir “Yahoo asks US Gov’t to help dissidents”, Associated Press, 22 février 2008 et “Yahoo chief asks visiting Rice to press Beijing on freedoms”, Bloomberg, publié dans le SCMP, 23 février 2008.

[32Voir mise à jour précédente du rapport sur la situation à l’approche des Jeux olympiques (ASA 17/015/2007).

[33“Chinese researchers say China ‘cautiously, resolutely’ on road to media freedom”, Xinhua, 8 novembre 2007.

[34Ibid. Citation de Yu Guomin, vice-doyen de l’École de journalisme et de communication de l’Université du Peuple à Pékin.

[35“China welcomes ‘fair and objective’ media to the Games”, Reuters, 4 décembre 2007.

[36“China likely to continue relaxed foreign media control after Olympics”, Xinhua, 27 décembre 2007.

[37Voir “Reporting interference incidents”, FCCC, http://www.fccchina.org/harras.htm, consulté le 25 février 2008.

[38« La population d’internautes chinois sera la première du monde en 2008 », Xinhua, 17 janvier 2008.

[39“Beijing police launch virtual Web patrol”, Associated Press, 28 août 2007.

[40Il s’agit de l’extension d’un programme testé à l’origine à Shenzhen, dans la province du Guangdong, en 2006. Ces policiers virtuels sont connus sous les noms de Jing Jing et Cha Cha, du mot chinois jingcha (??), qui signifie police.

[41Voir “Websites asked to crack down on ‘fake news’”, South China Morning Post, 2 août 2007.

[42Reporters sans frontières et Chinese Human Rights Defenders, « Chine. Comment les cybercenseurs ont empêché la diffusion du rapport "Voyage au cœur de la censure d’Internet" », 1er février 2008.

[43“Google faces lawsuit for blocking name”, Financial Times, 1er février 2008.

[44Note concernant la réglementation supplémentaire et la gestion de l’utilisation des messages textes par téléphone mobile pour la diffusion d’informations publiques. Pour plus d’informations, voir Chinese Human Rights Defenders, “Beijing to punish mobile SMS users for ‘endangering public security’ and ‘spreading rumours”, 23 décembre 2007.

[45Index AI : ASA 17/020/2007, 18 octobre 2007, non traduite en français.

[46“Mao’s education through labour system under fire”, South China Morning Post, 5 décembre 2007.

[47“ ?????????????????” (« Toujours pas de calendrier définitif pour l’examen de la loi sur la correction des comportements illégaux »), China Daily, 13 mars 2008.

[48“Beijing police crack down on beggars, peddlers near Tiananmen Square”, Xinhua, 2 janvier 2008.

[49Ibid.

[50Voir les précédents rapports d’Amnesty International sur la situation à l’approche des Jeux olympiques, en particulier ASA 17/046/2006 pp. 10-12 et ASA 17/024/2007 pp. 10-11.

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