3 mai : Journée internationale de la Liberté de la Presse Amnesty International met en lumière deux situations révélatrices du danger encouru par les journalistes

Une veillée organisée par Amnesty Finland pour la mémoire de la journaliste russe Anna Politkovskaya tuée le 8 octobre 2006 devant chez elle.©Katja Tähjä/Amnesty

SOMMAIRE

1.Deux exemples en Azerbaïdjan et à Guantanamo.
2.Agir au niveau mondial
3.Les situations de conflit
4.L’impunité
5.La répression d’État
6.Les journalistes pris dans les conflits et le chaos

En Azerbaïdjan, le journaliste Eynoulla Fatoullaïev a été condamné à deux ans et demi d’emprisonnement pour diffamation pour ses reportages critiques sur des questions politiques et des abus de prérogatives publiques.
Amnesty International est gravement préoccupée par le sort de journalistes indépendants et d’opposition dans ce pays. Rappelant les craintes qu’elle avait exprimées en août 2006 et janvier 2007, Amnesty International déplore une série de mesures récentes visant apparemment à réduire au silence des journalistes associés avec les journaux Realny Azerbaydzhan (L’Azerbaïdjan réel, russophone) et Gündelik Azerbaycan (Le Quotidien d’Azerbaïdjan, de langue azérie). Ces mesures laissent à penser que les journalistes qui critiquent les responsables et attirent l’attention sur des malversations officielles continuent d’être soumis à diverses sanctions, allant de l’agression physique à l’emprisonnement aux termes des textes de loi azéris relatifs à l’injure et la diffamation.
http://www.amnestyinternational.be/doc/article10567.html

À Guantanamo, Sami al Haj, 38 ans, est détenu depuis 5 ans.
Ce journaliste, de nationalité soudanaise, était en reportage en Afghanistan fin 2001. Arrêté par l’armée pakistanaise qui le soupçonnait de terrorisme, il fut rapidement remis aux forces américaines. D’emblée, celles-ci l’accusent d’avoir interviewé Oussama Ben Laden, ce qu’il dément catégoriquement.
En juin 2002, après avoir été victime de sévices à la prison de Bagram à l’ouest de Kaboul, il est transféré sur la base américaine de Guantanamo, et c’est la descente aux enfers …
Depuis cinq ans, son seul lien avec le monde extérieur est son avocat. Tout courrier est interdit ou tellement censuré qu’il ne signifie plus rien. Régulièrement battu, toujours harcelé et ne bénéficiant pas de soins médicaux appropriés à son état de santé précaire, Sami al Haj est un « combattant ennemi », terme vide de sens juridique qui le soustrait aux Conventions de Genève pour la protection des prisonniers. À ce jour, aucune inculpation ne lui a été signifiée.
Sami al Haj est défendu par le groupe d’Amnesty d’Ottignies LLN en Belgique.

Journée de la liberté de la presse : il faut agir au niveau mondial pour protéger les journalistes

« 2006 a été la pire année connue : une année d’attaques, de violences et d’impunité permanente pour le meurtre de journalistes » Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes

Les journalistes sont souvent des « cibles faciles » dans les guerres. La plupart des civils placés dans une situation dangereuse fuient pour essayer de se mettre en sécurité, mais les journalistes font exactement l’inverse. Le travail d’un journaliste est de rapporter l’information, ce qui signifie qu’il peut croiser les gens qui fuient le danger, tandis que lui se dirige vers les combats.

Il est facile d’oublier que les journalistes, pourtant, restent des civils – téméraires, parfois inconscients, peut-être, mais des civils à qui est due la même protection qu’aux autres civils, aux termes du droit international.

Lorsque des journalistes sont délibérément abattus, tués dans des explosions, pris comme otages ou emprisonnés pour n’avoir fait que leur travail, il s’agit d’une infraction au droit. Si ces violations visant les journalistes sont commises lors d’un conflit armé, elles constituent de graves violations des Conventions de Genève ; il s’agit de crimes de guerre.

2006 a été une année au cours de laquelle les homicides de reporters et de personnel des médias ont atteint des niveaux historiques, avec au moins 155 meurtres, assassinats et morts inexpliquées, selon la FIJ. Le 23 décembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution dans laquelle il condamnait les agressions visant délibérément les journalistes, les professionnels des médias et autres professions associées dans des situations de conflit armé ; le Conseil de sécurité a demandé à toutes les parties de mettre un terme à ces pratiques violentes.

Cependant, partout dans le monde, en situation de guerre comme de paix, trop peu d’États prennent au sérieux leurs obligations. Dans des situations de conflit ouvert, comme en Irak et en Afghanistan, les autorités restreignent la possibilité des journalistes de faire librement leur travail, plutôt que de les protéger contre les graves dangers qui les menacent.

La liberté d’expression est reconnue dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La liberté de la presse joue un rôle essentiel pour la liberté d’expression, et tout aussi important pour la protection des droits humains. Lorsque des journalistes sont tués dans l’impunité et que la peur et la censure étouffent la liberté d’expression, c’est la société toute entière qui en paye le prix, car il s’agit là des conditions créant l’abus de pouvoir et l’injustice.

Les situations de conflit

En Irak, 64 journalistes et travailleurs des médias au moins auraient été tués en 2006, soit un total d’au moins 139 personnes depuis l’invasion de l’Irak en mars 2003. Quelques-unes d’entre elles ont été tuées par des militaires des États-Unis ou des forces irakiennes en couvrant des combats opposant ces forces aux insurgés, mais la majorité a été tuée par des groupes armés opposés au gouvernement et à la présence de troupes étrangères, ou par des miliciens appartenant à des groupes religieux chiites.

Le 22 février, Atwar Bahgat, correspondante de la chaîne de télévision al Arabiya, a été enlevée avec ses collègues Khaled Mahmoud al Falahi et Adnan Khairallah. Leurs corps ont été retrouvés le lendemain près de Samarra. Le 26 mars 2006, un journaliste indépendant, Kamal Manahi Anbar, a été tué par des tirs des forces irakiennes lors d’un affrontement avec des insurgés. Les tirs ont eu lieu près d’une mosquée chiite, dans le quartier d’Ur à Bagdad.

Les forces irakiennes, soutenues par l’armée des États-Unis, auraient ouvert le feu après plusieurs tirs provenant d’un bâtiment adjacent à la mosquée. Des civils se sont précipités à l’abri, et parmi eux Kamal Manhahi Anbar, qui a reçu plusieurs balles au cou et au visage.

Le 12 octobre, des tireurs masqués ont tué 11 personnes et en ont blessé deux autres au bureau de la chaîne de télévision par satellite Al Shaabiya, dans le quartier de Zayouna, dans l’est de Bagdad.
En Afghanistan, la dégradation de la situation sécuritaire fait que l’intimidation, le harcèlement et la violence sont une réalité quotidienne pour les journalistes afghans et les défenseurs des droits humains. Le journaliste afghan Ajmal Naqshbandi a été enlevé en mars avec un journaliste italien, Daniele Mastrogiacomo, et leur chauffeur afghan, Sayed Agha. Daniele Mastrogiacomo a été libéré lors d’un échange de prisonniers, mais Ajmal Naqshbandi et Sayed Agha ont été tués par leurs ravisseurs.

Le gouvernement et le parlement nouvellement établi ont essayé de limiter l’action des journalistes, ce qui n’améliorerait guère l’image du gouvernement afghan et de l’assemblée législative. Par exemple, la Direction nationale de la sécurité, le service de renseignement afghan, a pris un décret le 18 juin 2006 pour tenter de limiter les reportages sur l’aggravation de la situation sécuritaire. Depuis la fin 2006, le gouvernement et le parlement afghan discutent de la révision d’un texte de loi sur les médias qui remettrait gravement en cause la liberté d’expression et des médias en Afghanistan.

L’impunité

Ce n’est pas seulement dans des situations de conflit ouvert que les journalistes prennent des risques. Au Mexique, par exemple, au moins 11 journalistes ont été tués depuis le début de 2006 et un certain nombre d’autres ont été enlevés. Les journalistes signalant la corruption et les activités de réseaux criminels organisés sont particulièrement en danger.

L’État reconnaît la hausse des agressions visant les journalistes dans le pays, et l’échec des autorités qui n’ont pas réussi à demander des comptes aux responsables. Pourtant, malgré l’établissement d’un bureau d’un procureur spécial pour les crimes commis contre les journalistes en février 2006, l’impunité pour ces crimes reste totale.

La répression d’État

Les journalistes sont souvent considérés comme une gêne : ils publient des articles qui embarrassent les gouvernements, ils donnent la parole à l’opposition ou aux personnes faisant campagne, ils révèlent les violations des droits humains et autres abus de pouvoir. Les journalistes ne sont pas forcément eux-mêmes des dissidents, mais le fait qu’ils écrivent sur ces dissidents ou sur des questions controversées fait d’eux des cibles pour les gouvernements qui veulent supprimer cette opposition.

En Russie, où le meurtre de la journaliste et défenseur des droits humains Anna Politkovskaya a mis en lumière la liberté de la presse dans ce pays, il est au mieux difficile et souvent dangereux de signaler les violations des droits humains. Des journalistes qui ont couvert les récentes « marches de protestation » ont été placés en détention, et plusieurs journaux ont reçu des avertissements pour avoir publié des informations sur des mouvements d’opposition et donné la parole à des opposants. Une organisation de défense des droits humains a été fermée pour avoir publié des déclarations non violentes de représentants de dirigeants tchétchènes séparatistes.

Au Nigéria, les services de renseignement ont procédé à des raids dans les médias, coupé des émissions, réquisitionné des cassettes, intimidé, et arrêté ou passé à tabac des journalistes trop critiques du gouvernement et du président. Avant les élections d’avril, deux journalistes au moins ont perdu la vie dans les violences politiques généralisées. Dans le cadre de manifestations de masse du 1er mai 2007, organisées pour protester contre les irrégularités électorales, des médias locaux ont signalé qu’un caméraman était tombé dans le coma après avoir été roué de coups par des policiers, qui ont également menacé d’autres journalistes de leurs armes à feu. Lors d’un autre épisode, 15 journalistes auraient été sauvés d’une tentative de lynchage par un groupe de militants d’un parti.

À Cuba, un journaliste peut rencontrer des problèmes s’il travaille pour une agence de presse non officielle, comme Pablo Pacheco l’a découvert en mars 2003. Après une période d’évolution apparente vers plus d’ouverture et de liberté, les autorités ont mené une répression sans précédent contre les mouvements dissidents sur l’île. Pablo Pacheco, qui travaille pour l’agence Cooperativa Avileña de journalistes indépendants, figure parmi les 75 personnes condamnées pendant cette période. Il a été condamné à vingt ans d’emprisonnement, et se trouve toujours en prison. Pablo Pacheco est l’un des 13 journalistes cubains emprisonnés reconnus comme prisonniers d’opinion par Amnesty International.

Au Zimbabwe, les travailleurs des médias vivent dans la peur constante de l’arrestation, de la torture et de la mort pour avoir abordé la crise actuelle des droits humains dans ce pays. Gift Phiri, un journaliste arrêté à Harare le 1er avril 2007 et détenu pendant quatre jours, a été roué de coups par la police pendant sa détention. Un autre journaliste, Edward Chikomba, a été enlevé à son domicile le 31 mars 2007 et tué. Son corps a été découvert deux jours plus tard, portant des blessures indiquant que ses ravisseurs l’avaient violemment agressé.

Les travailleurs des médias qui critiquent les pratiques du gouvernement ont déjà été visés par des lois répressives, comme la Loi relative à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée, votée en 2002, qui a été utilisée par le gouvernement pour fermer les journaux privés et refuser à des journalistes l’enregistrement nécessaire à leur profession.

Les journalistes sont souvent injustement accusés de délits de droit commun afin de les poursuivre pour leur travail. Sakit Zahidov, un journaliste d’opposition célèbre d’Azerbaïdjan, a été emprisonné pour possession illégale de drogue – une inculpation qu’Amnesty International qualifie de « douteuse ». Notre organisation, qui souligne que Sakit Zahidov n’a pas eu droit à un procès équitable, craint qu’il ait été emprisonné pour avoir seulement exercé, de manière pacifique, son droit à la liberté d’expression.

Dans certains pays, un simple contact avec le monde extérieur peut avoir de graves conséquences pour des journalistes. Le journaliste iranien Ali Farahbakhsh a été arrêté le 27 novembre 2006, au retour d’une conférence organisée par des ONG à Bangkok sur le gouvernement et les médias. Le 26 mars 2007, un tribunal révolutionnaire de Téhéran l’aurait condamné à trois ans d’emprisonnement et une amende d’environ 71 000 dollars des États-Unis pour espionnage et « avoir reçu de l’argent d’étrangers », en lien avec sa participation à la conférence.

Le journaliste chinois Shi Tao, dont le cas est peut-être le plus célèbre dans le monde, a été arrêté en 2004 pour avoir envoyé un e-mail à un site Web étranger, et inculpé de « divulgation illégale de secrets d’État à l’étranger ». Dans cet e-mail, Shi Tao décrivait les instructions qu’il avait reçues avec d’autres journalistes au département de la propagande du Parti communiste chinois, sur la manière dont ils devaient aborder l’anniversaire du massacre de Tiananmen. Shi Tao a été condamné à dix ans de prison en 2005, après un procès inéquitable. Amnesty International a adopté Shi Tao comme prisonnier d’opinion.

Ces derniers mois, les autorités chinoises ont essayé de renforcer encore leur contrôle sur Internet, ce qui a conduit à la censure supplémentaire de certains sites Web, blogs et articles en ligne. Par exemple, www.ccztv.com, un site Web qui diffusait des nouvelles sur Internet, a été fermé en mars.

Les journalistes pris dans les conflits et le chaos

Parfois, des journalistes sont visés pour leur identité, et pas en raison de ce qu’ils disent ou écrivent. Alan Johnston, le journaliste de la BBC enlevé par des Palestiniens armés le 12 mars 2007, est devenu un symbole des dangers que les journalistes courent dans les zones de conflit. Bien qu’apprécié et respecté à Gaza, Alan Johnston semble avoir été enlevé pour la simple raison qu’il était un étranger connu. Depuis son enlèvement, les journalistes étrangers ne se rendent plus à Gaza, et la crise humanitaire qui s’y déroule a disparu des médias.

La résolution du Conseil de sécurité montre qu’il existe une prise de conscience mondiale du grave problème que pose le traitement des journalistes sur la planète. Il faut désormais agir à l’échelle internationale pour protéger les journalistes et la liberté de la presse.

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