Sri Lanka. Le conflit s’intensifie : il faut d’urgence protéger les civils

ASA 37/009/2007

Amnesty International exhorte toutes les parties du conflit à respecter leurs obligations définies par le droit international, à protéger les civils et à permettre l’accès des agences d’aide humanitaire aux populations dans le besoin. Les forces de sécurité et les LTTE (Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul) doivent renouveler leur engagement en faveur du droit international humanitaire, cesser immédiatement toutes les violations des droits humains et prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que celles-ci ne se reproduisent pas à l’avenir.

Le conflit armé à Sri Lanka opposant les forces gouvernementales, les LTTE et d’autres groupes armés, s’intensifie depuis avril 2006 et continue d’être marqué par des atteintes aux droits humains généralisées.

Amnesty International est gravement préoccupée par le nombre croissant de civils tués ou blessés par des attaques délibérées, sur fond d’intensification de la violence à Sri Lanka.

Des homicides illégaux, des enlèvements et des disparitions forcées de civils se produisent quotidiennement, tout comme des détentions arbitraires. Les deux parties du conflit violent systématiquement leur obligation définie par le droit international humanitaire de protéger les personnes ne participant pas activement au conflit. Des dizaines de milliers de familles ont perdu leurs biens et leurs moyens de subsistance, et 290 000 personnes au moins ont été déplacées à l’intérieur du pays en raison du conflit. Ceci s’ajoute au grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays qui ne peuvent rentrer chez elles en raison du manque de sécurité, notamment du conflit permanent et de la crainte des zones fortement minées pendant plus d’une décennie.

Les civils ne sont pas protégés

Dans le district de Batticaloa, dans l’est de Sri Lanka, les combats opposent les forces gouvernementales, les LTTE, et une faction armée dissidente menée par l’ancien commandant militaire des LTTE de l’est, le colonel Karuna. Ce dernier a fait scission avec les LTTE en mars 2004, et a depuis fondé un parti politique, le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal (TMVP). La faction Karuna est impliquée dans le recrutement d’enfants soldats. Le conflit de ce dernier mois a entraîné le déplacement d’au moins 80 000 civils, ce qui a doublé la population déjà existante de personnes déplacées dans le district de Batticaloa, qui dépasse désormais 160 000 personnes. Nombre d’entre elles, terrorisées par l’absence de sécurité, subissent des disettes. Incapables de travailler, elles font face à un avenir incertain, ayant perdu leurs moyens de subsistance. De graves pénuries d’eau forcent des familles à tenter de creuser leurs propres puits. Le service cingalais de la BBC a signalé un épisode ce 3 mars, au cours duquel un enfant s’est noyé dans un trou d’eau que sa mère tentait de creuser.

Depuis l’intensification du conflit, l’accès des humanitaires a été restreint. Ainsi, de la fin novembre 2006 jusqu’au 19 janvier 2007, date à laquelle la ville de Vakarai, tenue par les LTTE dans le nord de Batticaloa, est tombée aux mains de l’armée sri-lankaise, les agences des Nations unies et le CICR n’avaient obtenu qu’un accès très limité à cette région et à sa population ; l’Organisation tamoule de réinsertion n’a pas pu réapprovisionner suffisamment ses travailleurs humanitaires sur le terrain pour qu’ils puissent répondre aux besoins de la population, à cause des restrictions imposées par le gouvernement sur l’octroi de l’aide dans les zones contrôlées par les LTTE.

Tous les organes d’aide humanitaire signalent qu’avant la dernière offensive militaire de mars, le gouvernement comme les LTTE restreignaient strictement l’accès au district de Batticaloa et d’autres zones de conflit sous leur contrôle, privant des dizaines de milliers de personnes déplacées, et de nombreuses autres populations affectées par le conflit, d’une protection internationale suffisante et de leur accès à l’aide humanitaire.

Dans ce contexte, les civils courent le risque grave d’être pris dans des bombardements d’artillerie effectués semble-t-il en aveugle des deux côtés, ou de subir des homicides délibérés dans le cadre de représailles.

Des événements récents illustrent cette menace permanente, par exemple :

*Deux enfants et deux femmes figurent parmi les huit civils tués ce 2 mars, lors de bombardements d’artillerie à Sittandi et Murakottanchenai, à Batticaloa. Dix-huit autres personnes ont été blessées. Selon un témoin : « Nous étions en train de partager la nourriture et nous apprêtions à déjeuner. Un obus est tombé dans la maison. Mon neveu est mort sur le coup. Ma fille a été blessée. Nous l’avons transportée à Murakottanchenai. Nous avons arrêté une ambulance sur la route et l’avons emmenée à l’hôpital1 ».
1.Service cingalais de la BBC, 3 avril 2007.

*Au moins 16 civils ont été tués dans l’explosion d’un car, dans le district oriental d’Ampara, ce 2 avril. Il s’agissait d’un attentat suicide, semble-t-il à l’instigation des LTTE, après un week-end de violences au cours duquel six personnes travaillant à la reconstruction post-tsunami auraient été abattues par les LTTE.

Des personnes nouvellement déplacées vivant dans des camps, dans des zones du district de Batticaloa contrôlées par le gouvernement, ont signalé que des hommes armés, portant semble-t-il des uniformes de la faction Karuna, infiltrent ces camps, allant jusqu’à contrôler la distribution de l’aide humanitaire. Des enlèvements de personnes déplacées ont également été signalés. Ainsi, un garçon âgé de quinze ans aurait été approché ce 9 mars par des hommes dans une camionnette blanche, alors qu’il attendait un autobus devant un temple, près d’un camp de personnes déplacées. Des hommes armés ont essayé de l’entraîner à l’intérieur de leur véhicule, mais il s’est débattu et ses cris ont attiré une foule, mettant en fuite les ravisseurs. Selon un témoin, des membres de l’armée sri-lankaise ont assisté à la scène, mais ne sont pas intervenus pour aider le garçon2.
2.Communiqué de presse d’Amnesty International Sri Lanka. Des groupes armés infiltrent les camps de réfugiés, index AI : ASA 37/007/2007.

Les homicides politiques : comment lutter contre le climat d’impunité ?

Les deux parties du conflit ont commis des violations du droit international humanitaire et des atteintes aux droits humains. Les LTTE se seraient rendus responsables de nombreux homicides politiques et d’attentats à la bombe en aveugle ; ils continuent en outre à recruter de force des enfants soldats. Les LTTE empêchent les civils de fuir les zones de combat dans le nord et l’est. Les forces gouvernementales ont également violé le droit international humanitaire, en lançant des assauts qui auraient coûté la vie à des civils. Les forces de sécurité gouvernementales sont également impliquées dans des exécutions extrajudiciaires.

Les travailleurs humanitaires sont la cible de tireurs non identifiés. Ainsi, lors d’un épisode qui a contribué à entretenir un climat de peur, 17 personnes travaillant pour Action contre la faim (AICF) ont été exécutées lors d’une attaque lancée dans le district de Muttur, en août 2006. Selon le Consortium des agences humanitaires (CAH), plus de 2 000 travailleurs de l’aide ont quitté les provinces du nord et de l’est depuis 2006, par crainte des homicides et enlèvements fréquents.

Des voix se sont élevées pour exprimer la crainte que l’absence d’enquêtes efficaces et de poursuites visant les responsables d’homicides politiques ne renforce le climat d’impunité ; le gouvernement de Sri Lanka a donc établi une commission d’enquête et un groupe de personnalités éminentes en septembre 2006.

Amnesty International ne pense pas qu’un groupe indépendant de personnalités observant une enquête principalement nationale, puisse se substituer à l’indépendance, réelle ou supposée, de la commission d’enquête proprement dite. Amnesty International a donc demandé au président sri-lankais d’intégrer des experts internationaux indépendants, impartiaux et compétents à la commission d’enquête proposée, et de prendre d’autres mesures pour que celle-ci consulte la société civile dans le cadre de son travail, obtienne l’accès aux documents et personnes nécessaires, protège les témoins comparaissant devant elle, et que ses recommandations soient soigneusement étudiées, pour être pleinement mises en œuvre.

Dans le cas contraire, pour Amnesty International, cette commission ne pourra pas fonctionner comme organe d’enquête capable de réagir réellement aux violations du droit international, comme l’exigent les normes internationales3.
3.Voir Amnesty International, Observations on a Proposed Commission of Inquiry and International Independent Group of Eminent Persons, index AI : ASA 37/030/2006, 17 novembre 2006.

En outre, les mécanismes nationaux d’enquête et d’observation des droits humains, comme la Commission des droits humains de Sri Lanka, ne disposent pas actuellement des moyens pour réagir à des violations des droits humains à grande échelle. Selon la Commission des droits humains, des centaines de personnes ont « disparu » pour l’instant cette année, venant s’ajouter au millier de « disparus » de 2006.

Sur le plan international, le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées et involontaires examine 5749 cas non résolus à Sri Lanka, dont plusieurs centaines ont été signalés depuis le début de 2006.

La nécessaire présence d’observateurs des droits humains

Notre organisation estime qu’il faut d’urgence installer des observateurs des droits humains sur le terrain, pour améliorer la protection des civils. Le rôle d’une présence internationale d’observation des droits humains est de mener une surveillance et de publier des rapports systématiques pour les organes nationaux et internationaux ; de remettre des rapports à un organe neutre de manière périodique et systématique, rapports qui seront rendus publics. Cela s’avère nécessaire, étant donnée l’absence de réaction nationale face aux violations des droits humains – qu’elles soient le fait du gouvernement, des LTTE, ou d’autres groupes armés.

Cette surveillance concernerait toutes les violations graves des droits humains, y compris les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées, et toutes les violations du droit international humanitaire, qu’elles soient le fait des forces gouvernementales, des LTTE, du groupe Karuna, ou d’autres groupes armés ou personnes opérant en leur nom. Cette surveillance consisterait à enquêter sur le nombre croissant d’atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité sri-lankaises, les LTTE et d’autres groupes armés, à publier les conclusions des enquêtes et à identifier les responsables pour les traduire en justice.

Amnesty International estime qu’il revient au gouvernement sri-lankais et aux autres parties du conflit d’adapter le contexte national au modèle approprié. Cependant, tout modèle de surveillance internationale des droits humains doit se fonder sur des principes essentiels, comme l’indépendance et l’impartialité ; la responsabilité et la transparence nationale et internationale ; une présence sur le terrain dans toutes les régions importantes du pays ; et une approche centrée sur les victimes/témoins, notamment en tenant compte de la confidentialité et de la vie privée. Cette surveillance ne sera efficace que si elle dispose de ressources suffisantes, avec un personnel d’enquêteurs internationaux expérimentés et compétents. Il faut également établir un programme efficace de protection des témoins. Le Haut-commissaire aux droits de l’homme a suggéré une mesure positive : l’établissement d’un Haut-commissariat pour les réfugiés à Colombo4.
4. Commentaire de Louise Arbour, Haut-commissaire aux droits humains, lors du dialogue interactif de la 4ème session du Conseil des droits humains, Genève, 14 mars 2007.

Étant donnée la gravité de la situation des droits humains, Amnesty International exhorte le gouvernement sri-lankais à renforcer la protection des civils et à inviter immédiatement des observateurs internationaux des droits humains.

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