Brésil, Marielle et Anderson, six ans après

Affiches au Brésil

Amnesty International demande que tous les individus impliqués dans ces agissements rendent des comptes et que l’État brésilien garantisse des réparations aux familles et des mesures de non-répétition

Après six années de procédure pour tenter d’obtenir justice, les familles de la défenseure des droits humains Marielle Franco et de son chauffeur Anderson Gomes, ainsi que la société civile brésilienne et la communauté internationale, ont appris dans la matinée du 24 mars le placement en détention provisoire des trois commanditaires présumés des meurtres : Domingos Brazão, conseiller de la Cour des comptes de l’État de Rio de Janeiro, son frère Chiquinho Brazão, membre du Congrès fédéral, et Rivaldo Barbosa, chef de la police civile de Rio de Janeiro, en poste au moment des faits.

Amnesty International Brésil suit cette affaire depuis le début et se réjouit de ces interpellations, un grand pas en avant vers l’élucidation de ce crime. Cependant, cela ne signifie pas que justice est pleinement rendue. Force est de constater que les investigations ont jusqu’à présent identifié trois anciens agents de la sécurité publique (deux membres de la police militaire et un pompier) comme étant les auteurs du crime et trois autres représentants de l’État comme étant les commanditaires.

D’après les informations recueillies par les autorités, ces meurtres pourraient être liés aux intérêts des groupes paramilitaires en plein essor, tels que les milices, à Rio. En ce sens, il importe de rappeler que l’émergence et l’expansion des groupes paramilitaires sont la conséquence, entre autres facteurs, de l’omission, de la tolérance et de l’assentiment des autorités de l’État, ainsi que de l’impunité et de l’incapacité des autorités étatiques à répondre avec force aux déviations au sein de leurs structures. La responsabilité de l’État dans ce phénomène d’essor des groupes paramilitaires a fait l’objet de décisions emblématiques de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) qui, constatant l’existence de divers cas impliquant des liens entre groupes paramilitaires et agents de la sécurité publique, a établi les obligations internationales élémentaires suivantes incombant à l’État :

a) l’obligation de prévenir les violations des droits ;
b) l’obligation d’enquêter avec diligence ;
c) l’obligation d’amener les responsables présumés de violations à rendre des comptes ;
d) l’obligation d’accorder des réparations aux victimes.

Les autorités brésiliennes n’ont rempli aucune de ces obligations dans l’affaire concernant les meurtres de Marielle et Anderson.

Ce crime grave a été minutieusement planifié. Plusieurs rouages ont été impliqués dans ce processus. Après les meurtres, nous avons constaté d’innombrables impasses et tentatives de faire obstruction à l’enquête au cours des six dernières années, dont beaucoup étaient le fait de représentants de l’État. Tous les responsables doivent répondre de leurs actes.

Nous avons dit et redit que chaque jour d’impunité met en danger la vie de toutes les personnes engagées dans la défense des droits humains au Brésil

Par ailleurs, il est du devoir de l’État brésilien d’assurer des réparations et de prendre des mesures garantissant la non-répétition, afin d’éviter que de tels actes ne se reproduisent. Le Brésil demeure l’un des pays les plus dangereux pour les défenseur·e·s des droits humains. Selon le rapport de Global Witness, entre 2018 et 2022, le pays est passé de la 4e à la 2e place dans le classement des pays où le nombre de défenseur·e·s des droits humains et de l’environnement tués est le plus élevé. Entre 2019 et 2022, trois défenseur·e·s ont été assassinés en moyenne chaque mois dans le pays. Le 14 mars 2024, Amnesty International a publié le document Lettres sur la table, qui systématise les six principales erreurs imputables aux autorités brésiliennes, par action ou par omission, dans l’élucidation du crime, et énonce six recommandations urgentes visant à mettre en place des mesures de non-répétition, notamment : adopter des mécanismes externes efficaces pour l’obligation de rendre des comptes de la police, prévenir et combattre la corruption, participer à des mécanismes d’experts internationaux indépendants, ainsi que reformuler et réellement mettre en œuvre des programmes de protection des défenseur·e·s des droits humains, y compris les responsables de la communication et les écologistes.

Nous avons dit et redit que chaque jour d’impunité met en danger la vie de toutes les personnes engagées dans la défense des droits humains au Brésil. Alors qu’Élcio de Queiroz et Ronnie Lessa ont été arrêtés en 2019, ce n’est qu’aujourd’hui, à la fin du premier trimestre 2024, que les enquêtes coordonnées en collaboration entre les institutions fédérales, le bureau du procureur général de Rio de Janeiro, la police fédérale et la police judiciaire fédérale, ont pu orienter la société vers une conclusion quant aux « architectes » de ces assassinats.

Amnesty International renouvelle son appel en faveur de la justice. Nous demandons instamment aux autorités brésiliennes de veiller à ce que tous les responsables présumés ayant planifié et perpétré ce crime, ainsi que tous ceux qui opèrent des déviations ou font obstruction lors des investigations, soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables conformes aux normes internationales. L’héritage de Marielle ne pourra s’épanouir que si le Brésil devient un lieu sûr pour tous ceux qui défendent les droits humains.

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