Peine de mort en 2011 — Édito de Salil Shetty

TRAVAILLANT pour une organisation dont la mission est de défendre la justice et la liberté et de dénoncer les atteintes aux droits humains et les injustices, je suis souvent contraint de mettre en lumière les problèmes plutôt que les progrès.
Aussi, alors qu’Amnesty International publie son compte-rendu annuel sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde, suis-je tenté de commencer par la bonne nouvelle : la peine de mort recule.

En 2011, seuls 20 pays sur 198 ont procédé à des exécutions – ce qui représente une baisse de plus d’un tiers en 10 ans. En 2011, 90 % des États membres des Nations unies n’ont procédé à aucune exécution, tandis que 140 pays sont désormais abolitionnistes en droit ou dans la pratique.

Il me semble intéressant de marquer une pause pour s’attarder sur ces chiffres. Lorsqu’Amnesty International a démarré sa campagne mondiale contre la peine de mort il y a 35 ans – s’y opposant en toutes circonstances, quels que soient la nature du crime commis, les caractéristiques de son auteur ou la méthode utilisée par l’État pour l’exécuter – le monde comptait à l’époque une minorité d’États abolitionnistes, au nombre de 16. Aujourd’hui, les pôles sont inversés, et ce sont les États qui s’accrochent à la peine capitale qui sont l’exception.

En 2011, toute l’Europe et l’ancienne Union soviétique, hormis le Bélarus, et l’ensemble des Amériques, hormis les États-Unis, étaient des zones sans exécution. La région Pacifique était également une zone sans peine de mort, à l’exception de cinq nouvelles condamnations prononcées en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Ce changement profond atteste du travail des militants des droits humains qui ont le courage de tenir tête à la répression, de l’engagement des responsables politiques et des décideurs qui ont l’audace d’aller à contre-courant de la majorité politique ou populaire, et de la détermination des avocats, des journalistes et des universitaires qui ont le courage de divulguer la vérité.

Ils démontrent non seulement que la peine de mort est inacceptable – constituant une violation du droit à la vie – mais que les arguments en faveur de ce meurtre approuvé par l’État ne résistent pas à une analyse poussée.

Ce châtiment a-t-il un effet dissuasif contre la criminalité violente ? Aucun élément convaincant ne vient le corroborer. Les pays qui ont aboli la peine de mort présentent souvent des taux d’homicide inférieurs à ceux qui la maintiennent. Le meurtre approuvé par l’État cautionne le recours à la force, alimentant les cycles de violence et de vengeance.

Qu’en est-il du soutien de la population aux exécutions ? Ce soutien n’est généralement pas très étayé. Lorsque les réactions opportunistes ou le désir calculé des dirigeants et des commentateurs qui s’engagent à réprimer « durement » le crime font place à un débat raisonné, et lorsque d’autres options sont proposées, la population se détourne de la peine de mort.

Les victimes ne méritent-elles pas d’obtenir justice et de pouvoir tourner la page ? Bien sûr, tous ceux qui ont été victimes de crimes horribles ont droit à la justice, mais la justice ne saurait trouver ses racines dans la vengeance. Le meurtre est inacceptable, qu’il soit le fait d’un individu ou de l’État.

Si certaines victimes y voient peut-être le moyen de refermer un chapitre de leur vie, c’est loin d’être une évidence : il arrive que les victimes de crimes violents s’opposent à l’exécution de leur agresseur. Aux États-Unis, l’immigrant bangladais Rais Bhuiyan a fait campagne en vain pour qu’une mesure de grâce soit accordée à Mark Stroman, qui lui avait tiré dessus dans le cadre d’une série de crimes violents commis en représailles des attentats du 11 septembre 2001. Rais Bhuiyan a déclaré : « Ma religion enseigne que le pardon est toujours préférable à la vengeance. »

À l’évidence, hors de question de faire appel depuis la tombe. L’État de l’Illinois, aux États-Unis, a renoncé à la peine de mort en 2011 après que plusieurs erreurs judiciaires ont été mises au jour.

Il n’y a pas lieu de s’étonner que certains fassent valoir que le véritable test quand il s’agit de soutenir la peine de mort ne réside pas dans la volonté d’exécuter, mais dans la capacité à accepter la possibilité de tuer un innocent.

D’aucuns justifient la sentence capitale en invoquant des motifs régionaux, religieux ou culturels. Or, la majorité abolitionniste englobe des États de toutes les grandes régions, religions et cultures du monde.

Toutefois, un certain nombre d’États maintiennent la peine de mort, et c’est là que j’en arrive à la mauvaise nouvelle. Un petit groupe de pays isolés ont exécuté dans des proportions alarmantes en 2011. Que ce soit par décapitation, par pendaison, par injection létale ou par fusillade, dans le monde, au moins 676 personnes ont été mises à mort et pas moins de 18 750 demeuraient sous le coup d’une sentence capitale à la fin de l’année.

Ces chiffres ne prennent pas en compte les milliers de condamnés à qui on aurait ôté la vie en Chine, pays qui procède au plus grand nombre d’exécutions au monde. Amnesty International a décidé de ne plus publier les chiffres qu’elle glane auprès de sources publiques sur ce pays, car elle est convaincue qu’ils sont bien en-deçà de la réalité. Jusqu’à présent, la Chine n’a pas répondu à notre demande de divulguer les chiffres réels, afin de confirmer qu’il y a bien, comme elle l’affirme, un net recul du recours à la peine capitale dans le pays depuis quatre ans.

Nos chiffres ne tiennent pas non plus compte des informations crédibles selon lesquelles un grand nombre d’exécutions, non reconnues par les autorités, ont eu lieu en Iran – ce qui doublerait quasiment le compte officiel.

Aux côtés de la Chine et de l’Iran, d’autres États ont fait montre de leur détermination à mettre à mort : l’Arabie saoudite, l’Irak et les États-Unis – seul pays des Amériques et du G8, qui réunit les grandes puissances mondiales, à procéder à des exécutions. Avec la Corée du Nord, la Somalie et le Yémen, ils figurent systématiquement parmi les États exécutant chaque année le plus grand nombre de condamnés.

Au niveau régional, on a assisté au Moyen-Orient à une hausse brutale des exécutions recensées, qui ont augmenté de près de 50 % par rapport à 2010. L’Arabie saoudite, l’Irak, l’Iran et le Yémen étaient responsables de 99 % de l’ensemble de ces exécutions.

Il est à noter également que dans la plupart des pays où des gens ont été condamnés à mort ou exécutés, les procès ne respectaient pas les normes d’équité. En Arabie saoudite, au Bélarus, en Chine, en Corée du Nord, en Iran et en Irak, les condamnations étaient parfois prononcées sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture ou la contrainte. Comme ce fut si souvent le cas au cours de l’histoire, la peine capitale servait aux États répressifs à se débarrasser des gêneurs et des indésirables.

Aussi n’y a-t-il guère de place pour la complaisance. Chaque exécution est une de trop. En 2011, la tendance mondiale vers l’abolition s’est résolument consolidée et il ne fait aucun doute que ce châtiment cruel et irréversible, qui fait de chacun de nous des victimes, sera inexorablement relégué dans les livres d’histoire.

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